Rockin’ Squat : rencontre avec une légende du rap français

Voilà plus de 30 ans que Rockin' Squat empile les lignes sur le C.V. : un rôle de fer de lance avec Assassin, des classiques à la pelle, plus d'un million de disques vendus et quatre albums solos exigeants. Les trois premiers formaient une trilogie. Le dernier en date, « 432Hz », constitue une nouvelle étape sur laquelle le rappeur français revient en interview.

Tu n'avais plus sorti de véritable album depuis 2010. Sur quelle impulsion as-tu mis en chantier « 432Hz » ?

Ce nouvel album est le fruit de trois ans de travail et de mûre réflexion. Après la tournée marathon autour de ma trilogie « Confessions d’un enfant du siècle », je me suis beaucoup investi dans des projets culturels dans les favelas de Rio de Janeiro. Ça m’a beaucoup occupé, mais je conservais l’envie de sortir un nouvel album original et très musical. Le projet est né de mon travail avec le musicien et producteur Stéphane Green, un ami de longue date. Ensemble, on a tout mis en place, dès les premières maquettes on savait qu’on allait enregistrer à New York avec des virtuoses de la musique. 

Après tout ce temps, est-ce facile pour toi de composer, produire, enregistrer et publier un nouvel album ? Étant indépendant, tu te confrontes à quelle réalité quand tu te lances dans ce genre de projet ?

Je suis victime du Grand Capital et de sa mondialisation comme tous les petits artisans qu’on veut réduire au silence... C’est une lutte permanente de pouvoir exister face aux corporations qui règnent en maître sur l’économie mondiale. On a choisi de se battre avec les armes que l’on a, mais même comme ça, énormément de personnes susceptibles d’être intéressées par mon album ne savent même pas qu’il est sorti… Heureusement, le message passe et notre site univers432.com est plus actif que jamais ! 

Le titre de l'album est une référence considérée comme réparatrice et apaisante. Tu es en quête de paix intérieur ?

Tout ce que j’entreprends est fait dans l’idée de trouver l’équilibre intérieur, mais comme je le disais déjà en 2007 dans mon titre 500 ans : « La paix n'existe que sur l'instant, comme la haine d'ailleurs / À vrai dire, tout sentiment dépend souvent de ton intérieur / Mais notre intérieur dépend de notre extérieur / Et quand l'extérieur est pollué, ça joue sur notre intérieur. »

Les mélodies africaines, le sort des minorités, le funk, les États-Unis : « 432Hz » cumule pas mal des obsessions qui parcourent ta discographie, non ?

Je dirais plutôt que l’album cumule pas mal de mes influences, ce qui est bien différent du mot « obsession ». Quoi qu’il en soit, sur ce projet, je suis allé chercher mes inspirations pour les partager au plus grand nombre. C’est un disque définitivement basé sur le groove.

Ce qui est intéressant avec ce nouvel album, c'est qu'il n'est jamais nostalgique, même quand tu évoques tes jeunes années à New York. La nostalgie, ce n'est pas pour toi ? Ou c'est juste que tu avais déjà assouvi ce sentiment avec ta biographie (Chronique d'une formule annoncée) ?

C’est vrai que je suis tellement sur l’instant, que la nostalgie « des belles années » ne fait pas partie de mes sentiments. J’aime ce proverbe japonais qui dit : « On commence à vieillir quand on finit d’apprendre ». Je suis persuadé de n’être qu’au début de mon apprentissage.

Je parlais de New York : que représente cette ville pour toi ? Quand tu y retournes, tu arrives encore à percevoir cette vibe hip-hop qui t'avait tant marqué dans les années 1980 ?

Cette ville fait partie de mon ADN, et pas seulement pour le hip-hop. J’ai un million de souvenirs. J’y reviens sans cesse, chaque année, et j’aime toujours « La Grosse Pomme ». Comme au premier jour.

Sur le fond, tu as un regard à la fois dur et lucide sur le rôle des artistes. Tu penses que c'est impossible d'avoir des millions de followers et d'être politisé, indépendant dans sa démarche et impliqué socialement ? 

J’imagine que tu fais références à mon titre Clown, qui est un de mes titres préférés de « 432Hz ». Ce que je développe dans ce morceau, c’est le rôle qu’on nous laisse dans la société en tant qu’artiste. Depuis que celui-ci est censé divertir, il n’est plus que le bouffon du roi et gare à celui ou celle qui décide de sortir du chemin qu’on a tracé pour lui ou elle. Reste à ta place de clown et ne vient pas mettre ton nez dans les affaires qui ne te concernent pas. C’est une triste réalité, et ceux qui pensent le contraire ne sont ni Julian Assange, ni Edward Snowden. 

Globalement, tes morceaux contiennent nettement moins de mots que par le passé. Tu as cherché à faire évoluer ton style, à privilégier les phrases fortes ou plus imagées ?

Je m’adapte à la musicalité des morceaux que je fais, et sur « 432Hz » mes mots accompagnent les notes. Tout simplement.

Avec Assassin, tu es sans doute le premier à avoir consacré des morceaux à l’écologie sur la scène française. Comment interprètes-tu la situation actuelle ?

Je pense que la crise sanitaire mondiale que nous traversons est due au dérèglement de l’équilibre entre l’homme et son environnement. Le fait de vivre de plus en plus dans des villes aseptisées, loin de la nature, appauvrit nos systèmes immunitaires. Nos corps sont de moins en moins en connexion avec la terre, la forêt, les animaux… Du coup, nous sommes beaucoup plus faibles face aux différents virus et bactéries qui peuvent surgir. La science et la médecine ont beau progresser, on continue de perdre la connaissance sur les points essentiels d’un « mieux vivre » au quotidien. C’est un vrai paradoxe.

L'ultime morceau de l'album se nomme Le rap de mon âge. À quoi il ressemble ce rap ? À une musique concernée socialement, qui sait qu'elle ne peut pas être aussi hardcore qu'il y a 30 ans ?

Le rap de mon âge est un rap d’amour, de partage, de tolérance et de maturité.

Crédits photo : Tom Kan.