C'est quoi cette nouvelle fascination du rap français pour la SACEM ?

Quiconque s'intéresse un tant soit peu au rap le sait : ces dernières années, les rappeurs ont développé une véritable obsession pour la SACEM, probablement conscients de l’intérêt à faire valoir leurs droits d'auteur à l'heure où ce genre musical génère des centaines de millions de streams. Alors que l'institution est portée par un vent de renouveau avec la nomination de Cécile Rap-Weber au poste de directrice générale-gérante de la SACEM, décryptage d'une relation pas si conflictuelle que ça.
  • « En attendant, je reste prudent car la SACEM me doit des sous ». En 1997, La Rumeur avait le mérite de pointer du doigt des inégalités entre les chanteurs de variété et les artistes dits urbains par la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, créée justement dans l'idée de redistribuer à l'auteur d'un morceau le cumul des droits générés par l'utilisation de son œuvre. À l'époque, les rappeurs reprochaient surtout à l'organisme un manque de clarté, une mauvaise redistribution, le fait que les droits d'auteur, à en croire Lucio Bukowski, ne soient finalement que « les tips de l’industrie ».

    Depuis, ces rapports conflictuels entre la société française et la scène rap ont muté en une relation passionnelle, et ouvertement intéressée. Rappelons qu'en 2022, selon Rap Minerz, c'était près de 1000 références à la SACEM dans les titres des rappeurs francophone. C'est beaucoup. Sans doute beaucoup trop. Au point de parler d'une véritable obsession ?

    L'intérêt est évidemment réciproque. La France, après tout, est le deuxième marché mondial du rap après les États-Unis (78% des jeunes de 14-24 ans écoutent des musiques urbaines, d'après les chiffres), ce qui explique en grande partie pourquoi la SACEM a tout intérêt à être partenaire d'événements tels que Les Flammes, la première cérémonie entièrement dédiée au rap francophone.

    Du côté des rappeurs, l'organisme est avant tout synonyme de réussite. « J'veux à la SACEM à... » étant devenue une phrase aussi répandue que l'usage de l'autotune dans la bouche d'artistes rêvant de recevoir les droits d'auteur de Francis Lalanne, Patrick Hernandez, Beyoncé, Johnny ou encore Jean-Jacques Goldman - pour ne citer que les artistes mentionnés par Jul, Lesram, Maes, Freeze Corleone, PLK ou Kalash Criminel.

    Derrière ces mentions et ces références, deux objectifs pointent le bout de leur nez : l'envie d'être aussi populaire que les grands noms de la chanson française ou de la scène internationale, et flatter l'ego. « Demande à la SACEM qui est le boss », rappe Booba sur Au bout des rêves, totalement lucide quant au fait que des droits d’auteur conséquents sont avant tout synonymes d'une musique largement diffusée. Même si des zones d'ombre existe encore et toujours : quid, par exemple, de ces lieux et ces espaces auprès desquels l'organisme ne collecte pas les redevances (TikTok, bar à chicha, coiffeurs, restaurants, boîtes de nuit, etc.) ?

    « La SACEM fait partir d'un groupe de mystères très opaques. Soit parce qu'on ne s’y intéresse pas vraiment, soit parce qu'on trouve ça dure d'accès. Mais oui, ça fait partie d'un des organismes les plus lointains pour un artiste, un des plus compliqués d'accès. Ce qui, en soit, n'est pas totalement vrai. » Lorsqu'il prononce ces mots lors d'une discussion organisée par Ventes Rap face à la boss de la SACEM, Cécile Rap-Veber, Sofiane prolonge finalement le discours de l’organisme, soucieux d’être toujours plus accessible, parfaitement conscient de l’engouement autour du rap. Qu’il est possible de résumer en quelques chiffres : entre 2009 et 2019, le nombre de sociétaires dans le top 1 000 de la SACEM issus de l’urbain a ainsi été multiplié par trois, tandis que les montants répartis au titre de ce même répertoire ont été multipliés par six.

    Début 2022 Alexandre Mahout, directeur des Répertoires à la Sacem, expliquait ceci dans le cadre d'une étude réalisée à l'initiative de Red Bull France et Tsugi : 

    « Cette percée du rap depuis plusieurs années, portée notamment par le streaming, la Sacem l’a constatée et en tient compte dans ses actions. À la Sacem, nous nous adaptons à cette évolution du paysage musical français en aidant de nombreux artistes rap via nos programmes d’action culturelle, en facilitant l’adhésion (plus besoin de partitions, qui sont peu répandues dans le rap, ainsi qu’une adhésion en ligne) et en faisant un maximum de pédagogie autour des dépôts de titres qui sont à faire rapidement si l’on veut garantir la collecte de ses droits, en particulier pour les exploitations streaming. »

    Très bien, mais comment expliquer dès lors la popularité de la SACEM par rapport à d'autres organismes rémunérateurs (ADAMI, SPPF, SCPP) ? Peut-être est-ce son ancienneté (la société a été créée en 1851), sa popularité, qui incite donc les rappeurs au mimétisme dans leurs textes, ou tout simplement le fantasme qu’elle génère. Après tout, de Damso à Sofiane, il ne s'agit que de ça : avoir la « SACEM des Beatles » ou prendre un brunch au dernier étage de l'institution.

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