2017 M05 5
Tu sembles très libre sur ce nouvel album, est-ce de ne rentrer dans aucun moule qui t’a inspiré le titre No Shape (« sans forme » en français) ?
J’essaie en tout cas autant que possible d’être libre. Cela veut aussi dire transcender la forme, quitter son corps. Ce titre peut évoquer la mort et la spiritualité. J’ai fabriqué ma propre religion qui est plutôt conceptuelle. Je pense que des énergies connectent tout, sans aucun jugement, et cela me permet d’avoir l’impression qu’on veille sur moi, d’une façon biologique. J’ai toujours aimé le chant dans les églises mais je ne me suis jamais senti autorisé à en faire partie. Alors pour moi, cet album est aussi pour ceux qui se sentent exclus de cela.
Cet album est très intime et pourtant, tu as trouvé de l’espace pour inviter en featuring Weyes Blood. Pourquoi l’avoir choisie ?
Je n’écoute plus la musique de la même façon depuis que j’en fais. Mais avec elle, je redevenais un adolescent. J’écoutais ses chansons en boucle, comme un fan obsessionnel. Je suis très heureux de cette chanson car on a chacun écrit nos textes et nos mélodies et c’est devenu comme une conversation entre nous deux.
« J’aime Freddy Krueger car il a malgré tout un sens de l’humour, violent et vulgaire. »
Il y a une vraie douceur dans cette musique, pourtant tu cites pour cet album l’influence du terrifiant Freddy Krueger…
Quand quelque chose m’effraie, je me mets à me renseigner dessus et ça m’attire. J’aime Freddy Krueger car il a malgré tout un sens de l’humour, violent et vulgaire. J’ai construit toute ma vie en étant un outsider, il y a une magie à en être un, on joue avec d’autres règles que les autres. La plupart des musiciens que j’admire se sentaient comme des outsiders. Nina Simone est probablement la musicienne que j’admire le plus. Chacune de ses chansons est un chant de protestation et même quand ce sont des chansons d’amour, elles sont un vrai combat.
« Je sais qu’il existe des gens très homophobes aux États-Unis […]. Des lois me protégeaient mais ce ne sera plus le cas. »
Ressens-tu le besoin de te battre avec Trump au pouvoir ?
Certainement et ça ne risque pas de s’arranger. Je ne me suis jamais senti complètement en sécurité, je sais qu’il existe des gens très homophobes aux États-Unis mais avant je pouvais me tenir à distance d’eux, rester en ville entouré par une bulle de gens bienveillants. Des lois me protégeaient mais ce ne sera plus le cas.
À quoi ressemble une journée type d’écriture chez toi ?
J’ai déménagé dans une petite ville à 45 minutes de Seattle où je ne connais personne à part mon copain et mon chien. On a loué une maison, comme ça je peux expérimenter sans que les murs aient des oreilles. J’ai souvent besoin d’être dans un contexte un peu dramatique : j’éteins mon téléphone et chante toute la journée. J’ai expérimenté de nouvelles choses. J’ai beaucoup pensé à Elvis Presley et Bruce Springsteen et je me suis demandé ce qui se passerait si je m’inspirais de la confiance qu’ils ont en eux-mêmes et que je n’ai jamais moi-même ressentie en grandissant. C’est excitant de prétendre ressentir la même chose qu’eux. C’est aussi un vrai stéréotype hétérosexuel que de ne pas remettre en question cette assurance.
« Rien de bon ne peut sortir de la cocaïne. »
Te souviens-tu du moment où tu as eu assez confiance en toi pour te lancer dans la musique ?
J’étais déjà plutôt vieux, puisque j’avais 25 ans. Je n’ai pas grandi en chantant ou en écrivant de la musique, c’est venu subitement quand j’ai écrit ma première chanson et que je l’ai accompagnée d’une vidéo. Je venais d’arrêter l’alcool et les drogues et j’avais toutes ces émotions et tous ces sentiments comme coincés, enterrés par ces substances. Je me suis retrouvé avec un brouhaha dans la tête et nulle part où le mettre. Alors, j’ai fait une chanson et je me suis senti vrai. Je ne suis pas contre l’alcool et la drogue, ça peut être drôle ou soigner certaines personnes, mais pour moi c’était un grand vide, rien de bon ne peut sortir de la cocaïne.
Quels sont les textes que tu aimerais que les gens retiennent sur ce disque ?
J’aime beaucoup « They won’t break the shape we take » [ils ne briseront pas la forme que nous prenons, nldr]. Ce qui veut dire pour moi que quand un amour est fort, personne ne peut t’atteindre.
Perfume Genius, « No Shape » (Matador) le 5 mai. En concert au festival We Love Green le 11 juin à Paris.