2022 M03 19
Dans les années 60, la planète veut assouvir sa soif de culture. Cela va s’exprimer à travers des façons inédites de la concevoir. Alors qu’aux États-Unis, un certain Andy Warhol vient de donner naissance à sa Factory — lieu artistique pluridisciplinaire, trois jeunes Italiens sentent aussi gonfler leur voile de ce vent nouveau. Ils s’appellent Manilo Cavalli, Francesco et Giancarlo Capolei, et pour leur ville de Rome, ils ont également un grand projet.
Niché dans la Via Tagliamento au numéro 9, il y a un ancien cinéma, le Piper, qui pour le moment n’a rien de l'endroit qu’il va devenir. Avant-gardistes, les trois compères désirent secouer les architectures où les Italiens font la fête. Ensemble, ils veulent balayer les conventions. En plus d’avoir choisi un lieu original pour danser, ils entendent bien tout revoir et notamment bannir ce grand espace entre la scène et la fosse au profit d’un dancefloor central connecté à toutes les artères du club. Ils seront les premiers dans le monde à mettre en place cette idée de décloisonnement. Et ce n’est que l’étape uno de ce projet fou.
Opening tonight @ICALondon : Radical Disco: Architecture and Nightlife in Italy, 1965-1975 https://t.co/1AiKN5pYlc pic.twitter.com/3EKkDM4biv
— The Spaces (@thespacesmag) December 8, 2015
Le gros du chantier concerne l’atmosphère. Pour en créer une, voire des nouvelles, il y a d’abord des jeux de lumière. Ils combinent des effets qui influencent directement le déroulement des fêtes. Puis, comme Audrey Teichmann, Art curator chez Audemars Piguet, l’explique dans un article de Trax, il est aussi question de mobilier : « L’idée de base du Piper était de devenir un parallélépipède qui permettrait de créer des ambiances changeantes, avec un mobilier précisément conçu pour cette modulation constante […]. C’était un espace très technologique, avec un arsenal de machines sonores et lumineuses. »
Puisque les machines sont évoquées, il faut dire ici que les trois architectes ont fait quelque chose de grand, et finalement sans gros moyens. Afin de créer un environnement coloré, ils placent des filtres sur les projecteurs, eux-mêmes accrochés à de simples échafaudages apparents. Pour attirer l’œil et jouer avec la physique du spectre lumineux, ils peignent certaines briques, ajoutent des miroirs qui se regardent et se répondent. Concernant l’insonorisation, ils utilisent des boîtes à œufs. Tout n’est qu’artifices, mais la magie s’opère.
L’expérience est totale, réussie. Et les curieux comme les stars sont sans cesse plus nombreux à venir se perdre dans ce club d’un nouveau genre. On peut y croiser Pink Floyd, Lucio Battisti, Chico Buarque et même, plus tard, Kurt Cobain… Toujours dans l’article de Trax, il est même raconté que : « les Beatles, qui devaient s’y produire en 1965, feront demi-tour devant le raz-de-marée humain qui les attendait ».
Au vu de la renommée qu’obtient le Piper, ses petits frères ne tardent pas à fleurir, notamment à Turin ou à Rimini. Quand le Studio 54 de New York, le Palace parisien ou L’Haçienda de Manchester verront le jour — respectivement en 1977, 1978 et 1982, ils reprendront cette formule explorée par leur aîné transalpin. C’est-à-dire, transformer la fête en expérience à 360° grâce à des moyens originaux et techniques, tout en ayant le public au cœur des attentions via ces dancefloors centraux. Si vous voulez comprendre plus en profondeur la relation entre architecture et vie nocturne en Italie, l’exposition « Radical Disco: Architecture and Nightlife in Italy, 1965-1975 » est un bon outil.
We review Radical Disco: Architecture and Nightlife in Italy, 1965-1975 @ICALondon https://t.co/3Rb1FyR3kV pic.twitter.com/C7iubFQO9g
— Aesthetica Magazine (@AestheticaMag) December 18, 2015
Great exhibitions @ICALondon last night including 'Radical Disco: Architecture and Nightlife in Italy, 1965-1975' :) pic.twitter.com/UePEHopxgW
— Raphael Clegg-Vinell (@Raphael_CV) December 9, 2015
Aujourd’hui, l’époque du Piper Club est révolue : les rockstars ont laissé place à des soirées mousses. À la façon de bon nombre de clubs, la fête s’est dans sa généralité normée. Elle s’engouffre dans une sorte de tunnel où l’originalité n’est pas souvent au rendez-vous. Le Palace du Faubourg Montmartre, qui avait rouvert ses portes aux freaks de la capitale depuis un bon petit moment, vient encore de les refermer pendant l’hiver 2021.
La vraie différence avec l’époque, c’est que certains paradigmes ont changé. Désormais, ces endroits ne sont plus uniquement que des espaces d’abandon. Ils sont devenus des lieux de réappropriation. La sécurité (morale et physique) de chacun est une priorité, tout comme la recherche de parité. Il n’est plus question d’invisibiliser quiconque, et c’est une Sacré évolution.