Rencontre avec Jwles, dernier bijou du rap français

Jwles a grandi à New York avant d’arriver en France. Forcément, dans son approche du hip-hop, ça se ressent. En mixant les codes et les genres, le rappeur est enfin en train de récolter les fruits d’une passion qu’il pratique depuis le milieu des années 2010. En inondant la toile de single et d’EPs tout aussi remarquables les uns que les autres, il semble fin prêt à briller de mille feux. Et le public n’attend que ça.
  • Depuis ses débuts, Booba rythme le paysage rap francophone de punchlines et mots d’esprit. Parmi ses fulgurances, une est particulièrement appropriée pour esquisser la carrière de Jwles — prononcé « Jewels », « bijou » en anglais — : « mieux vaut avoir le cul entre deux chaises, plutôt que l’inverse ». Très imagé, ce détournement sémantique permet d’introduire les deux cultures de son cadet. D’un côté, les États-Unis où il a grandi, de l’autre, la France, pays auquel il appartient, qu’il a retrouvé à l’âge de 8 ans. Ce mélange se ressent naturellement dans sa vie, qu’il mène maintenant depuis un long moment du côté de Saint-Denis, et surtout dans son rap, véritable creuset des spécificités de chaque pays. Un melting-pot de sons et de codes qu’il exprime en chansons, EP et mixtapes.

    « Même si j’ai un attrait naturel pour les USA, j’ai toujours essayé de mêler cette culture américaine avec ma culture française », se lance Jwles. Avec cet état d’esprit au pays de l’Oncle Sam, le bambin a pu observer ce qu’il se passait autour de lui, d’un œil averti. En quelque sorte, d’en prendre le meilleur pour essayer de le transposer dans sa vie. Bien sûr, il y a le hip-hop. Un mouvement qu’il découvre via son père et les disques de 50 Cent qu’il passait à la maison. Le paternel n’oublie tout de même pas de lui glisser un album de 113 dans la fouille. Et dans un registre différent, il y a cette mentalité. Cette liberté qui permet de croire en soi et d’également faire confiance aux autres ; « cet esprit d’équipe » résume-t-il. 

    Sa parenthèse new-yorkaise se referme lorsque Jwles souffle sa huitième bougie. De retour au pays, il file à Grasse, où il rencontre de nouveaux amis et se trouve de nouvelles passions. D’abord, il se familiarise grâce à la télévision aux « classiques du rap français, des compilations, des trucs de Rohff ou Booba ». Ses copains prennent la suite et le branchent sur le secteur « d’artistes comme Alpha 5.20 ». Puis fatalement, arrive pour lui cette envie de s’essayer au micro.

    « Ça a commencé vers 16, 17 ans, via des potes avec qui je jouais au basket et avec lesquels on échangeait des albums. Je t’épargne tous les détails, mais simplement, un jour, on s’est chauffé pour écrire un texte. Et après ce jour-là, on l’a fait tous les jours suivants. »

    Il faut préciser qu’à cette période, le rap se démocratise. En accueillant dans ses rangs de nouveaux collectifs comme le Odd Future de Tyler, The Creator, la discipline semble plus accessible, même pour ceux qui « n’en écoutent pas ». Lancé dans le jeu à son tour, le sud de la France ne lui suffit plus, et une fois la majorité atteinte, Jwles met le cap sur la capitale. 

    Quand il débarque à Paris, « le bon endroit pour faire quelque chose d’artistique », Jwles saute le pas. D’abord de façon confidentielle, avant de tenter l’expérience à plusieurs lors d’une deuxième année. Charnière, puisqu’avec deux amis peintres qu’il retrouve, ils fondent ensemble le collectif LTR Worldwide [La Table Ronde ; ndr]. Ces bases désormais fixées, le rappeur envoie sur Internet ses premières chansons. Nous sommes en 2014 et le public fait la connaissance de ce nouvel artiste français qui rappe majoritairement… en anglais :

    « J’étais plus à l’aise à l’idée de procéder comme ça. En anglais, c’est très naturel de mettre de la mélodie dans des mots. Ça se chante aussi plus facilement. Je ne dis pas que c’est impossible en français, mais c’est plus dur. Et si tu écoutes bien, dans mon projet “Du Purusha” (2015), il y a déjà une chanson en français [Johnny Delgado ; ndr]. Il fallait quand même bien que je montre que j’étais d’ici ». 

    Tous les mois qui suivent, Jwles va augmenter une discographie composée majoritairement d’EPs et de singles, via lesquels il essaye des choses, notamment des touches de français plus assumées — « Négociations Transatlantiques » (2016). En parallèle, et conformément à ses cultures, le rimeur s’ouvre au monde. Cette envie de connexion aux artistes étrangers se matérialise un soir de 2016, lors d’un événement organisé au Casino de Paris par le LTR Worldwide. En invitant le rappeur canadien Rowjay, le collectif envoie un signal fort et Jwles crée avec lui une complicité qui l’est tout autant. 

    « On sait que quand tu traverses l’océan et que tu es un artiste nord-américain, tu peux être observé. On s’est également dit qu’en le mettant en tête d’affiche on se ferait remarquer. Cet événement nous a aussi permis de montrer qu’il existait une scène vive et alternative dans le paysage rap français. »

    Désormais plus identifiée dans le game, la musique de Jwles va connaître un premier bouleversement. Avec ses EPs « Inde Eau Chine » (2017) et les suivants, il range au placard l’anglais pour se concentrer sur des morceaux (presque) exclusivement en français. Avec le recul, le rappeur se satisfait de cette manœuvre. Puis les chiffres ne mentent pas : ses chansons dans la langue de Molière fonctionnent (3X4 ; Mont Blanc ; Vroom…), ce qui n’est pas nécessairement le cas pour les autres. 

    Mais sa musique va clairement se transformer en 2018, lors d’un voyage aux USA. « Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est une manière d’enregistrer que j’ai découverte à Atlanta, reprend Jwles. Enregistrer phrase par phrase sans écrire de texte, ça m’a libéré. Et c’est comme ça que j’ai fait pour Kylie avec Le Lij, qui a vraiment bien marché. » Une technique que le rappeur complète en étoffant sa palette d’un nouveau flow, le DMV, tout droit venu des… États-Unis.

    Si Jwles a comme spécificité de travailler avec une petite équipe de beatmakers fidèles (Blasé, Nutso…), tout s’est accéléré lorsqu’il s’est mis à rapper avec le producteur et DJ Mad Rey — « que j’écoute depuis mes 17 ans ». En s’associant à l’une des dernières signatures de Ed Banger, le rimeur a peaufiné un nouveau style, qui s’aventure autant dans « un délire années 90, comme 113 » que dans cette house chère au cofondateur du label Red Lebanese. Deux morceaux sont sortis du lot, Joe Da Zin et Uzine.

    En presque 10 ans de carrière, Jwles a accumulé les projets. Tel un artisan de la rime et du son, il se sera essayé à plusieurs types de rap, allant de la plugg sur un EP avec les Palestiniens du Pngwng Cru à une trap plus classique. En parallèle, il aura repoussé les frontières du genre pour se rapprocher d’un mariage hip-hop/musique électronique qui rappelle sans mal les expérimentations de feu DJ Mehdi. Ce goût pour les allers-retours entre les sonorités, on le retrouvera dans un projet à venir ; et déjà sur son dernier single, Audrey Tautou. « Une mixtape travaillée comme un album » qui va encore un peu brouiller les pistes entre les codes, entre les États-Unis et la France.

    Crédit photos : Pablo Jomaron

    Jwles jouera à la Maroquinerie (Paris) le 4 décembre, ainsi qu’aux Bars en Trans le 10 décembre.

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