2022 M09 18
Aux États-Unis comme en France, le rap est frappé de cette même tendance : la longueur des morceaux est en train de drastiquement chuter. Depuis les années 2010, la structure même des chansons a changé. D’un modèle avec une introduction suivie de trois couplets comprenant des refrains entre chacun, on est passé à deux, sans intro, ponctué par ces mêmes refrains. L’un des premiers à l’avoir remarqué est Hip Hop By The Numbers. En se basant sur les 10 albums de rap les plus vendus sur toutes les dernières années, l’équipe derrière ce site d’analyse a confirmé cette piste.
Chez nous, c’est la page Instagram RapMinerz qui s’est chargée de donner un écho à cette tendance de fond. Dans ce schéma publié par leur soin, on peut d’abord comprendre plusieurs choses. La première, c’est que cette notion de troisième couplet a eu un apogée. Entre les années 1990 et 2012, plus de 40% des titres de rap français étaient construits de la sorte. En 2008, ce format de morceau était devenu une norme : les artistes le plébiscitaient à plus de 50%. Mais après ce pic, la chute fut rude.
Toujours selon le graphique, en seulement une petite année, le pourcentage a dégringolé de presque 30 points. Il ne repartira jamais à la hausse. Si bien qu’en 2021, seulement 10% des 90 000 tracks analysés comptaient trois couplets. Dans le même temps, dès 2013, les morceaux plus courts, ceux n’en comprenant donc que deux, étaient devenus pour la première fois plus nombreux. Ils ne feront qu’augmenter jusqu’en 2021, année pendant laquelle cette structure était la plus courante dans le game, avec au moins 60 % des chansons étudiées.
Bien qu’en 2022 cette tendance soit désormais taxée de « has been », il existe encore des adeptes de cette façon de construire des morceaux. Parmi eux, on retrouve Joe Lucazz, Taïro et Georgio, chacun favorisant cette manière de faire dans 50 % ou plus de leurs titres. Mais la palme du rappeur aux textes les plus longs revient à Oxmo Puccino, qui depuis 2015 et la mort de ce format, propose 75 % de chansons avec un troisième couplet. Tout un symbole pour cet artiste considéré comme l’une des meilleures plumes de la discipline.
Maintenant que ce constat est dressé, logique de se demander : pourquoi ces morceaux sont de plus en plus courts ? Selon Le Monde et leur série documentaire consacrée au rap, #RapBusiness, l’un des éléments de réponse serait le streaming. Dans le premier épisode de la deuxième saison, le journaliste à la baguette de ces enquêtes explique que pour maximiser leurs profits et surtout, ne pas se perdre dans la masse d’artistes, les rappeurs sont obligés de cumuler un plus grand nombre d’écoutes de leurs titres.
Pour appuyer cette observation, l’auteur du livre Boulevard du stream: du MP3 à Deezer, la musique libérée, Sophian Fanen, explique au journal :
« Les artistes sont des hamsters dans une roue. Il faut mouliner, mouliner, mouliner, être plus visibles que les autres. Et l’une des techniques pour faire le plus de streams est de réduire la durée des morceaux et de démultiplier leur nombre. Comme ça, les gens en écoutent plus dans le temps qu’ils ont à consacrer à la musique. »
Outre cette perte du troisième couplet, et encore d’après cette logique de maximiser les écoutes via les plateformes de streaming, un autre changement a été observé. Toujours selon la vidéo postée par Le Monde, « depuis 2010, un morceau a deux fois plus de chance de commencer par un refrain ».
Plutôt qu’une fin en soi, même si tout un pan de la twittosphère regrette ce troisième couplet, la logique voudrait qu’on dise que, comme tous les genres, le rap passe lui aussi à autre chose. Ami.e.s adeptes de la maxime « c’était mieux avant », navré de vous dire qu’en musique, tout est une question d’évolution. La preuve ? Même le rappeur Dinos enterre ce vestige du passé dans son morceau On meurt bientôt : « Yeah, j'suis arrivé dans l'rap avant la mort du 3eme couplet / J'me suis fait tout seul, aucun grand d'la tess pour m'adouber ».