2016 M11 10
À chaque fois qu’il s’agit de présenter un label, les journalistes procèdent toujours de la même manière. Ils commencent par décrire la naissance de la structure et passent rapidement à ce qui excite réellement les lecteurs : les chiffres. Dans le cas de Musicast, la technique serait efficace : créé il y a une quinzaine d’années, le label éclate aujourd’hui les compteurs YouTube avec Jul et PNL, exporte le rap français à l’étranger (cf. la trogne des frères Andrieu en couv’ de The Fader), offre une seconde jeunesse à un Kery James plus que jamais en phase avec son rap militant, et confirme ce que B2O disait déjà en 2002 : c’est bandant d’être indépendant.
Blind test. Ce qu’il y a de plus fascinant chez Musicast, au fond, c’est peut-être son fondateur : Julien Kertudo, un gars, aveugle, qui, à force de sympathiser avec des professeurs de musique et des artistes dans l’arrière-boutique d’un magasin de piano parisien, finit par promouvoir artisanalement les musiciens qu’il rencontre. « J’avais une quarantaine de disques autoproduits en catalogue. Je les ai embarqués avec moi chez Gibert, un disquaire de Paris avec qui j’ai parlé pendant une heure et demi à la caisse. Je l’ai convaincu de m’envoyer tous les autoproduits qu’il recevait pour que j’en fasse une sélection qu’il mettrait en rayon par la suite. Quelques temps après, j’ai fait de même avec Virgin. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé avec cinq grosses armoires de disques autoproduits, que je relayais sur internet dans la foulée en les classant par style, en affichant l’actualité des artistes, en mettant en avant ceux en qui je croyais le plus et en offrant à l’auditeur la possibilité de les acheter. »
Contrat de confiance. On n’est alors qu’aux prémices de la bulle internet, mais Julien Kertudo a déjà tout compris : c’est désormais sur le web que se joue l’alternative, notamment pour les rappeurs, traditionnellement plus portés vers la marge, qui développent rapidement une relation de confiance avec le bonhomme. « Le contrat que je propose est le même pour tous : 30% des ventes sont pour nous, le reste pour eux et le tout tient en deux pages. C’est hyper clair, il n’y a pas de clauses et ça prouve aux artistes que l’on va tout faire pour mettre nos services (graphistes, attachés de pressage, pressage,…) à leur disposition afin que ça marche et que la collaboration se poursuive. »
« On s’est fait tout seul et c’est ce qu’on a en commun avec la majorité des rappeurs dont on s’occupe »
Que la mif. Il y a bien quelques accrochages, comme cette fois où il est obligé de se planquer dans le coffre de sa collègue pour échapper au gang d’un rappeur visiblement déçu de ne pas avoir été signé, mais Julien Kertudo est de ces professionnels que l’on respecte. « Avec Musicast, on ne vient pas de l’industrie. On s’est fait tout seul et c’est ce qu’on a en commun avec la majorité des rappeurs dont on s’occupe : que ce soit PNL ou Jul, ils ne doivent leur succès qu’à eux-mêmes. Je ne fais que les porter aussi loin que je peux. » Sa botte secrète ? « Être disponible tous les jours et permettre aux artistes de traiter continuellement avec une équipe qu’ils connaissent parfaitement, contrairement aux majors où les têtes changent tous les trois mois. »
Import-Export. Avec un tel pedigree (2 000 artistes en catalogue, plusieurs disques d’or, un chiffre d’affaire qui devrait dépasser les 10 millions en 2016) et un roster de première division (Lacrim, Disiz, Booba ou Sinik) Julien Kertudo aurait pu devenir l’énième producteur qui se la joue branché pour impressionner des lycéens et taper dans l’œil de Skyrock. Là encore, le Parisien préfère renforcer sa street credibilty en rééditant en vinyle les classiques indés (Le Combat Continue d’Ideal J, Ma 6-T Va Crack-er, Time Bomb Vol.1) et en faisant la promotion du rap hexagonal à l’étranger. « Si PNL est le premier groupe français à avoir un vrai retentissement à l’étranger, je suis persuadé que d’autres vont suivre rapidement. C’est pourquoi on souhaite ouvrir des bureaux au Canada et aux États-Unis afin d’accompagner cette effervescence. » Une décision qui, avec le temps, devrait permettre à Musicast de se tailler une place au soleil dans une industrie peu familière avec l’audace.