2017 M09 1
Un job à plein temps. « Jeff mixe la zic, je balance le verbalistique verdict. » Lorsqu’il rappe ces mots sur le deuxième album d’Ideal J, Kery James ne le sait peut-être pas, mais il permet à Jeff Dominguez d’entrer dans une nouvelle dimension. Ou du moins, de se tailler une réputation au sein du rap français, lui qui n’avait bossé jusqu’alors qu’en tant qu’assistant de Philippe Zdar (un pote d’enfance) et d’Étienne De Crécy (dont il gère les tournées aujourd’hui) sur les albums de MC Solaar, Bashung ou Renaud. Explications :
« Avec Philippe et Étienne, on a découvert la techno en même temps, on a expérimenté les raves ensemble et on a bossé sur le hip-hop côte à côte, restitue l’ingénieur du son, 50 ans aujourd’hui. À la base, c’est d’ailleurs Étienne qui avait été sollicité pour mixer et enregistrer le premier disque d’Ideal J, « O’Riginal MC’s Sur Une Mission ». Comme il n’était pas dispo, il m’a pistonné et c’est comme ça que tout a commencé. »
Équipée sauvage. Dans la foulée, Jeff Dominguez monte son propre studio, BlackDoor, et y enregistre un tas d’albums caractéristiques de la fin des années 1990 : « Opéra Puccino » d’Oxmo, « Détournement De Son… » de Fabe, « Les Princes de la Ville » de 113 (dont il a accroché le Disque d’Or dans sa chambre), « Busta Flex » de Busta Flex ou encore « Légendaire » de Mafia K’1 Fry. C’est d’ailleurs aux côtés de ces derniers et des différentes entités qui s’y retrouvent qu’il connaît ses plus belles heures : « On a bossé plus de douze ans ensemble, à vivre dix mois par an les uns à côté des autres. Forcément, ça crée des souvenirs. Comme lorsqu’on partait en tournée : on était 25 dans le bus, j’étais le seul blanc et ils faisaient quasiment tous plus d’1 m 80. Un choc de culture énorme quand tu débarques d’Aix-les-Bains, mais qui ne m’a jamais posé de problèmes. J’ai toujours été un mec underground et je retrouvais dans le rap l’énergie et le côté social du punk. D’ailleurs, aux côtés de 113, Kery James ou DJ Mehdi, j’ai vécu des moments d’humanité et d’amitié qui dépassent de loin tout ce que l’on a pu accomplir musicalement. »
« J’ai toujours été bien incapable de dire si tel ou tel tube pouvait devenir un classique.«
Le cul entre deux 16. Jeff Dominguez a un tas de souvenirs (la fois où il a rassuré les douaniers lorsque la Mafia K’1 Fry traversait les frontières, ces moments où, bien que non-croyant, il a entamé le ramadan avec les membres du collectif) et surtout des disques réussis artistiquement. « Je suis très fier d’avoir mixé des titres comme J’ai Mal Au Mic d’Oxmo Puccino, Je Revendique d’Ideal J ou Les Princes De La Ville de 113. Très fier d’avoir refusé de copier les « cainris », contrairement à pas mal de techniciens de l’époque. Très fier également d’avoir fait partie de cet âge d’or, même si j’ai toujours été bien incapable de dire si tel ou tel titre pouvait devenir un classique. Je sais reconnaître un bon morceau, mais de là à savoir ce qu’il peut devenir, c’est autre chose. »
Le retour du babtou. Au milieu des années 2000, Jeff Dominguez prend peu à peu ses distances avec le rap. Il n’y a pas eu d’embrouilles, mais le temps a passé, il commence à avoir envie d’autres choses et trouvera satisfaction auprès de Cat Power, avec qui il passe trois ans à Miami, le temps de mettre au point son neuvième album : « Sun ». « Une belle aventure », dit-il. Mais la France lui manque et Jeff tente depuis de se créer un nouveau curriculum vitae.
D’abord, auprès de DSL, Beat Assaillant et Sayem. Puis, aujourd’hui, aux côtés de Twin Twin, Rémi Parson et de toute l’équipe du label Isolaa (De La Montagen, Bleu Toucan). Et le rap dans tout ça ? « J’essaye d’y revenir sérieusement ces derniers temps. Il y a une vague rétro, très branchée 90’s et ça me plaît bien. » Avant de partir se baigner dans le lac d’Aix-les-Bains, le technicien nous confie même bosser actuellement avec Mani Deïz et Davodka, soit deux des meilleurs représentants du boom-bap ces dernières années. Mais surtout deux gars en or, ce qui semble encore plus compter pour Jeff, qui conclut par cette sentence : « Être ingénieur du son, c’est 5% d’aspect technique et 95% de relationnel. Il est là l’essentiel de notre job. »