Avec Habibi Funk, vous n'écouterez plus de la musique orientale par hasard

  • La dernière compilation d’Habibi Funk, « An eclectic selection of music from the Arab world », n’a rien d’un coup d’essai. Voilà plusieurs années que le label allemand réédite ce qu’il se faisait de mieux dans le monde arabe entre 1960 et 1980. Jannis Stürtz, son fondateur, nous raconte.

    Tu peux nous dire ce que tu faisais avant de lancer Jakarta Records et Habibi Funk ?

    Le truc, c’est que je n’ai jamais eu un « vrai » job. J’ai rencontré Malte Kraus à l’école, on a commencé à digger ensemble et, en 2005, on a lancé un petit label pour se faire plaisir pendant nos études. Ça a duré cinq ou six ans. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme à l’université, Malte, lui, bossait déjà un peu pour EMI. On a donc fini par se professionnaliser avec l’idée de pouvoir en vivre modestement. Puis Jakarta Records a pris de l’ampleur et on a décidé d’en faire la maison mère d’Habibi Funk.

    Ça te semblait impensable de consacrer ta vie à autre chose que le digging ?

    Disons que j’ai toujours fait ça. Quand j’étais étudiant, dès que j’avais des vacances et que je partais en Thaïlande, en Indonésie ou même à Bagdad, je recherchais les petites perles locales, notamment celles des années 1970, et j’en faisais un mix. Par la suite, je suis allé au Maroc et j’ai eu l’impression qu’il y avait toute une scène issue du Maghreb que l’on ne connaissait pas. J’ai tout de suite été persuadé que ça pouvait intéresser d’autres personnes. C’est ce qui m’a poussé à fonder Habibi Funk, une structure à l’univers encore plus spécifique que celui de Jakarta Records.

    « Proposer quelque chose d’indisponible ailleurs »

    Justement, c’était quoi le leitmotiv en lançant Habibi Funk ?

    L’idée, c’était bien sûr de publier de la bonne musique, mais surtout de proposer quelque chose d’indisponible ailleurs. Selon moi, toutes les productions publiées via Habibi Funk méritent d’être entendues et disent quelque chose de ces pays que tout le monde connaît, mais dont on ne se doute pas une seconde qu’ils aient pu abriter des musiciens aussi géniaux et précurseurs.

    Il y a un style Habibi Funk selon toi ?

    Habibi Funk est bien évidemment un style qui n’a historiquement jamais existé en tant que genre musical à part entière. Mais il correspond à une vibe et à une esthétique que l’on cherche à mettre en avant et qui vient de pays du monde arabe. Ce qui est intéressant, c’est que l’on se concentre souvent sur des artistes qui n’ont jamais connu un succès national. La plupart sont simplement connus dans leur ville et ont composé leurs morceaux dans des endroits très éloignés les uns des autres. Certains ont été écrits et enregistrés en temps de guerre, d’autres en exil, mais toujours avec le souci de mélanger des influences régionales et locales avec des références qui viennent d’ailleurs. Quand on écoute Fadoul, par exemple, on entend aussi bien de la soul que du rock, mais ça ne se limite pas non plus à ça. Parfois, on parle de nos disques comme du zouk arabe ou de la bossa libanaise.

    La plupart des rééditions proposées par Habibi Funk ont avant tout une grande histoire à raconter. Il y a des histoires que tu préfères ?

    Fadoul aura toujours une place spéciale pour moi, dans le sens où c’est le premier véritable album que l’on a réédité. C’est un artiste que j’avais découvert lors d’un voyage au Maroc avec Blitz The Ambassador. Dans une vieille boutique, j’étais tombé sur un de ses 45tours, celui avec la reprise de James Brown, et ça m’avait immédiatement fasciné. J’ai d’ailleurs passé plus de deux ans à tenter d’entrer en contact avec lui et à multiplier les allers-retours au Maroc. J’ai fini par apprendre qu’il était mort, mais ça ne m’a pas découragé : j’ai continué mes recherches et suis tombé sur sa sœur, qui m’a alors expliqué que Fadoul a longtemps séjourné à Paris avant de retourner au Maroc, de se marier, d’avoir deux enfants et d’accumuler les compositions. Une histoire de dingue, donc.

    Je crois que celle d’Ahmed Malek, un chef d’orchestre et compositeur pour la télévision algérienne, n’est pas mal non plus.

    Dans ce cas-là, c’est une amie à moi, basée à Beyrouth, qui a d’abord appelé un ami à elle en Algérie pour savoir s’il le connaissait. J’ai plaisanté en lui disant qu’il y avait des dizaines de millions de personnes en Algérie et que tout le monde ne se connaissait pas forcément, ah ah ah. Pourtant, deux semaines après, mon amie me rappelait pour me dire qu’elle savait où se trouvait sa fille. C’était parfait ! Surtout que c’est sa fille qui possédait toutes les compositions que son père avait pu réaliser.

    Ça t’arrive de tomber sur des artistes ou des ayants droits qui refusent de rééditer une œuvre ?

    Non, et tu sais pourquoi ? À partir du moment où tu trouves l’artiste ou le travail réalisé et que tu prouves que tu n’es pas un escroc, c’est relativement facile.

    Aujourd’hui, tu sors la compilation « Habibi Funk : An eclectic selection of music from the Arab world ». Tu la vois comme une vitrine du label ?

    En quelque sorte, oui. On sait que la plupart des gens qui nous connaissent et nous suivent aiment posséder le vinyle d’un artiste ou d’un pays bien identifié. Mais on sait aussi que si on veut permettre à certains artistes de dépasser leurs frontières ou celles d’Habibi Funk, il est préférable de réaliser une bonne compilation. Pour ceux qui ne sont pas intimement impliqués dans la musique, c’est un format privilégié.

    Il y a un disque que tu rêverais de rééditer ?

    Je préfère ne pas répondre à ça. Il y a trop de potentiels à explorer pour que je me limite à un disque que j’aimerais rééditer. Je veux rester ouvert à l’imprévu, fidèle à l’idée de base d’Habibi Funk : réhabiliter quelque chose qui a été oublié, documenter l’œuvre d’un artiste et apporter un éclairage supplémentaire sur une région ou une scène.

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