

God save Vivien Goldman !
2016 M08 29
Vivien Goldman a presque tout vu et son profil LinkedIn pèterait les scores si le réseau pro était tenu par Johnny Rotten. On a retrouvé l’éternelle punkette autour d’un thé coupé à la Valstar.
Massive Attack, Ryūichi Sakamoto, Bob Marley (dont elle écrira la toute première biographie), les Slits ou Chrissie Hynde qui fut sa colocataire, Vivien Goldman a presque tout vu et son profil LinkedIn pèterait les scores si le réseau pro était tenu par Johnny Rotten. À l’occasion de la sortie d’une compilation de ses titres sortis entre 1979 et 1982, nous avons retrouvé l’éternelle punkette autour d’un thé coupé à la Valstar.
Musicienne, journaliste au NME, écrivain et « professeure » universitaire sur l’histoire du punk, Vivien Goldman possède une carrière hétérogène à la manière des mélanges musicaux qu’elle affectionne. En peine émergence du punk, elle écrit sur le dub, le punk et le reggae puis, presque par hasard, fait ses débuts musicaux avec les Flying Lizards. Elle se lance ensuite en solo, armée de quelques brûlots no wave féministes avant l’arrivée des FEMEN, puis monte le duo Chantage lors d’un long séjour parisien. Tout juste revenue d’un séjour à New York où elle a lancé une comédie musicale avec Kid Creole, Vivien enchaîne les réponses à la chaîne (de vélo).
Pourquoi sortir la compilation « Resolutionary (Songs 1979-1982) » aujourd’hui ? C’était ton idée ou celui du label ?
Vivien : Il faut croire que quelqu’un a senti qu’il y avait un message dans ma musique, quelque chose qui fasse toujours sens à notre époque. Markus [fondateur de Staubgold record, NDLR] m’a contactée car j’aurais bien été incapable d’organiser quoi que ce soit. Il doit avoir quelque chose de cosmique, de plus grand que moi, car la compilation est sortie le jour même de la première de la comédie musicale avec Kid Creole. C’est d’une synchronicité presque comique car que je suis rarement sous les feux des projecteurs…
Comment as-tu découvert la musique ?
Vivien : Mon père était un violoniste réfugié de l’Allemagne nazie. Nous faisions de la musique ensemble le dimanche matin mais je suis devenue un peu trop sauvage pour ma famille. Entendons-nous bien, les rapports étaient excellents mais que ce soit par le biais de l’écriture ou de la musique, j’étais déjà rebelle et souvent outrageuse. C’est en écrivant pour des magazines musicaux comme le NME ou le Melody Maker que j’ai vite rencontré des musiciens qui m’ont ensuite invitée dans divers projets. Le hasard a fait que je me suis retrouvée à faire des chœurs pour Bob Marley en tournée. J’ai accompagné Ari Up des Slits, Adrian Sherwood ou Neneh Cherry… Puis il y a eu ma rencontre avec les Flying Lizards et mes titres en solo.
Le Brexit, Marine Le Pen ou Donald Trump… Le terme multiculturel est devenu une injure pour certains.
Tu étais politisée ? Une femme en colère parmi d’autres punks ?
Vivien : Oui, j’étais militante et en colère pour de bonnes raisons ! Tu peux notamment l’entendre sur ma chanson Private Armies. Trente-cinq ans après, on me dit que c’est toujours d’actualité. Comment connaître son véritable ennemi aujourd’hui ? La situation est encore plus complexe. Il n’y a jamais eu autant de réfugiés dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale et regarde de quelle manière ils sont traités. Je suis une enfant de réfugiés moi-même et la situation m’horrifie.
Quels souvenirs gardes-tu de ta période parisienne et du duo Chantage, que tu avais monté avec la chanteuse Eve Blouin ?
Vivien : C’était génial ! J’y ai vécu une période très créative. J’aimais rencontrer un tas d’étrangers à Paris, comme ces nombreux musiciens africains qui expérimentaient avec leurs synthés tout en s’inspirant des musiques traditionnelles. Les réactions virulentes autour de l’immigration étaient déjà présentes mais il y avait plus d’insouciance. Les gens essayaient encore de construire quelque chose, de travailler ensemble. Je ne voudrais pas passer pour naïve mais, que ce soit en Angleterre ou en France, nous utilisions encore cette musique métissée comme un moyen de connecter nos différentes cultures. Tout cela me paraît lointain et, sans dire que c’était mieux avant, j’espère surtout que ce sera mieux après ! J’ai l’impression que la question de l’immigration est devenue ce qui nous amène les pires choses : le Brexit, Marine Le Pen ou Donald Trump. Le terme multiculturel est devenu une injure pour certains.
Partout où il y a de la friction, il y a du punk.
D’où te vient ce surnom du « Punk Professor » ?
Vivien : C’est bien sûr une blague que j’ai encouragée car je trouvais ça drôle. Cela vient du fait que j’ai initié des cours sur le punk et que je suis toujours professeure adjoint sur le sujet à l’université Clive Davis (Institute of Recorded Music) de New York. Bref, j’étais un peu la « Paul Simonon » de l’enseignement [bassiste des Clash dont la légende veut qu’il ne maîtrisait pas son instrument à ses débuts, NDLR], je suis arrivée comme une punk dans le système académique.
J’en appelle donc à la professeure. Comment définis-tu le punk en 2016 ?
Ce serait peut-être le fait d’être spontanée, de vouloir créer, exprimer sa colère et ce, sans maîtriser spécialement la technique. Je ne te parle pas de Green Day qui remplit les stades ou du gouvernement anglais qui se sert du punk historique pour attirer les touristes, mais de la scène émergente et très énergique du punk en Indonésie qui explose malgré les nombreux interdits. La scène mexicaine est intéressante également. Partout où il y a de la friction, il y a du punk.
De tes années en tant que journaliste, il y a une anecdote ou un souvenir que tu aimes particulièrement raconter ?
Vivien : Une de mes anecdotes favorites concerne Fela Kuti. Nous sommes aux débuts des années 1980 et Fela, désabusé par l’industrie musicale, se tourne vers les sciences occultes africaines en quête de ses racines profondes. Il fait alors la rencontre du Professeur Hindu, un soi-disant magicien et véritable gourou. Lors d’un concert, le professeur Hindu et Fela commencent à égorger un membre de la troupe sur scène. J’étais dans les coulisses et j’y ai vraiment cru avec ces gerbes de sang qui giclaient partout. Le promoteur était en état de choc car au lieu d’un concert, il pensait assister à un meurtre en direct. Fela et Hindu ont traversé la salle et sont ensuite allés enterrer le type dehors lors d’une pure cérémonie vaudou. La salle était en folie, tout le monde se demandait si c’était réel. Personne n’a osé appeler les flics pour autant. C’était une autre époque. Un instant complètement glaçant et surréaliste !