2023 M09 21
Par rapport à d'autres grandes villes du nord, comme Liverpool ou Manchester, Leeds paraît régulièrement en retrait au moment de citer les bastions forts du post-punk britannique. Pourtant, des Mekons à Gang Of Four, de Scritti Politti à Delta 5, la ville a fourni au genre quelques fortes teignes, des gars nerveux qui fascinaient autant que The Fall, Echo & The Bunnymen, Buzzcocks ou même Joy Division par leur maîtrise d’une rage adolescente, par la fougue de leurs mélodies, par l’insolence de ces refrains qu’ils se plaisaient à cracher à la face du pouvoir britannique.
C'est même l'une des caractéristiques de la scène locale : son ancrage politique, radicalement à gauche, tendance marxiste. Nourris par les lectures situationnistes, biberonnés aux récits contre-culturels, les membres de Gang Of Four et des Mekons, très proches, développent alors une musique hautement DIY, où la technique intéresse peu, éduquée dans une parfaite indocilité malgré un bagage scolaire certain - quand les premiers nommés étudient l'art, les seconds optent pour l’école polytechnique.
À la fin des années 1970, toute la scène de Leeds se réunit au Fenton. C'est là, dans ce pub qui jouxtait alors une salle de cinéma où les Gang Of Four et les Mekons avaient pris l'habitude de répéter, que les fanzines s'échangent, que les idées fusent et que les groupes apprennent à se professionnaliser. « Lors des premiers concerts, nous donnions littéralement nos instruments au public, raconte Kevin Lycett, guitariste des Mekons, dans un article du Guardian. Nous avons très vite compris que c’était une mauvaise idée ».
Le Fenton, ainsi que le Terry's All Time, un café ouvert 24/24, sert donc de repère à tous les punks du coin, hommes comme femmes. À l'instar des Buzzcocks, qui prônent une autre forme de masculinité depuis les faubourgs de Manchester, les groupes de Leeds défendent une certaine ambiguïté, cultivent un certain sens de l'absurde et refusent de verser dans les délires virilistes des Pistols ou des autres formations londoniennes. Ainsi, Delta 5 est un groupe mixte, tandis que les Mekons interprètent Never Been in a Riot en opposition au Whit Riot des Clash, jugé trop machiste.
Si d'autres groupes de cette période méritent évidemment d'être cités (notamment Girls At Our Best, The Afternoon Gentlemen, Chumbawamba ou les proto-gothiques Sisters of Mercy), force est de constater que Leeds refuse d'entretenir toute forme de nostalgie avec son passé. On ne citera pas ici Kaiser Chiefs (ni Alt-J, trop pop), mais plutôt Eagulls, Mush, Drahla (autrefois signé sur Captured Tracks), Autobahn ou encore Yard Act, tous ces groupes qui, au cours des années 2010, ont choisi de verser dans un rock aussi électrique que caverneux.
Pas étonnant, dès lors, qu’ils revendiquent l’influence de leurs aînés, la même démarche communautaire, la même volonté de traverser le mur du son à l'aide de morceaux qui trahissent un goût pour les rythmiques dissonantes et les riffs déglingués. Il n'y a rien de neuf, certes, mais tout est là, résumé dans des chansons impulsives, qui osent parfois le grotesque (Rotisserie Geezer d'Ona Snop) et se font l'écho d'une évidente colère. Cette urgence punk, c'est encore Henry Rollins qui en parle le mieux. En 1987, de passage à Leeds afin d'y enregistrer « Life Time » de sa nouvelle formation (Rollins Band), l'ex-chanteur des Black Flag aura cette phrase, imagée, définitive : « Cette ville a été frappée au visage par une couche de poison gris. » Pas mieux !
Pour commander et écouter la compilation "The Art School Dance Goes On : Leeds Post-Punk 1977-84", c'est par là.