2023 M01 24
Difficile de se faire un nom dans le rap quand on vient de Suisse et que l'on se fait surnommer Varnish La Piscine. Le challenge est encore plus dur à relever quand on produit des « expériences » musicales, difficiles à étiqueter, souvent qualifiées de « bizarroïdes » ou de « neptuniennes », en référence au duo de producteurs The Neptunes, particulièrement admiré par le Genevois.
En très peu de projets, le chef d'orchestre du rap suisse, membre honoraire de la SuperWak Clique (Makala, Di-Meh, Slimka), a réussi cet exploit. Dans le milieu, on respecte sa folie créative, on le programme aux côtés de la nouvelle garde de la scène francophone (Hyper Weekend Festival) et, surtout, on a fini par comprendre que sa musique ne pouvait se limiter à cette simple comparaison avec Pharrell et Chad Hugo. Obsédé par la production depuis ses 12 ans, doté de l'oreille absolue, Varnish La Piscine a de toute façon fait un pacte avec lui-même, une sorte de code de conduite l'incitant à jamais faire dans la redite ou la facilité, privilégiant l'audace et l'expérimentation au conformisme d'un paysage musical qui a parfois tendance à se standardiser.
Cette approche audacieuse de l’instrumentation, déroutante mais singulière, c'est précisément ce qui permet à Varnish La Piscine de se distinguer de ses contemporains, mais également de créer des points de connexion entre deux mondes que l'on aurait pu penser distincts : d'un côté, la scène rap helvétique ; de l'autre, un label électro en quête d'un nouveau génie des consoles afin d'acter son entrée dans sa vingtième année (Ed Banger).
L'arrivée de Varnish La Piscine sur la structure pilotée par Pedro Winter génère d'ailleurs un drôle de fantasme. Ou plutôt, est-ce une tentation : celle de tracer une ligne qui relierait le Suisse à DJ Mehdi, autre formidable touche-à-tout, quoique dans une approche plus minimaliste, moins luxuriante. À l'inverse du producteur parisien, Jephté Mbisi (au civil !) a également pour particularité de ne pas rester dans l'ombre des tchatcheurs de la rime qu'il met en son. Rappeur, chanteur, mais aussi scénariste et acteur de ses propres clips/courts-métrages, le Genevois brille par sa capacité à s’exprimer sous différentes formes.
Depuis son premier projet, « Escape (F+R Prelude) », sorti en 2016, Varnish La Piscine n'hésite jamais à manipuler les attentes de son public, de même qu'à remettre l'amusement, la mise en scène, la recherche et l'imprévu au centre de la création hip-hop. Combien d’artistes, après tout, seraient capables comme lui d’enfiler une perruque blonde avant de s’engager dans une course poursuite sur une route enneigée (Wes Anderson) ? Combien seraient suffisamment libres pour donner vie à un projet aussi loufoque et surréaliste que « Le regard qui tue », ce « film auditif » pour lequel il a écrit les dialogues, définit l'atmosphère et distribué les rôles (Makala, Rico TK, Bonnie Banane) ?
On serait bien évidemment tenté de l'entendre parfois arrondir les angles, ne serait-ce que pour permettre à sa musique de toucher le grand public. Sauf qu'on ne se lasse pas de l'entendre ainsi définir de nouvelles pistes pour l'avenir, mettre en son un groove jalousé par La Funk Mob, voire même imploser les structures pour marier les genres : rap, funk, bossa-nova, reggae, électro… Peu importe les cases dans lesquelles on tente de faire entrer sa musique, on fait fausse route : son ambition est avant tout populaire, jamais élitiste. Il faut simplement, pour en prendre pleinement conscience, accepter les pas de côté.
Dernier exemple en date ? Ce lac a du succès, un moyen-métrage découpé en plusieurs épisodes (le premier, Le passage du flambeau, vient de sortir), où l'on retrouve son amour des vieux films (Hitchcock, Fellini), son écriture fantaisiste et, au générique, probablement les premières bribes d’un nouveau projet musical à paraître cette année.
Crédits photos : Liswaya et Marion Berrin.