2021 M04 19
En 2001, Karlito n’affiche encore aucun album sur son CV, mais quiconque a entendu sa voix charismatique et son flow légèrement bancal se souvient de lui. Certains disent de ce jeune homme qu’il est le « secret le mieux gardé de la Mafia K’1 Fry », sans doute en référence à sa façon d’avancer masquer, voire d’avoir longtemps caché à ses potes le fait qu’il rappait. De son côté, Kery James rend hommage à la qualité de sa plume dans un de ses morceaux (Thug Life).
Un charisme naturel, qui lui vaut plusieurs formules définitives. Non pas des punchlines, simplement un sens de la phrase qui claque : « On s’la joue artiste parce que la vie c’est compliqué », « L’ennui porte conseil » ou encore « Dans le mal et sa quête, on réalise la prophétie qui veut que l’homme court à sa perte ».
Les mots sont simples mais toujours finement pensés. Les rimes sont efficaces, le propos est sincère, et les invités toujours justifiés. Karlito avance entouré de sa famille musicale (Rohff, Manu Key, AP, Rim’K), et tout paraît faire sens. Parmi son entourage proche, il y a surtout DJ Mehdi qui, après avoir piloté l’enregistrement de « Le combat continue » d’Ideal J et « Les Princes de la ville » de 113, s’impose comme le véritable chef-d’orchestre de ce disque.
Non seulement parce qu’il est crédité à la production de neuf morceaux sur douze, mais aussi parce qu’il l’a sorti sur son propre label (Espionnage) et parce qu’il livre ici des productions qui, dans leur grande majorité, pourraient totalement s’écouter indépendamment des voix - ce qui n’enlève rien au talent de Karlito, entendons-nous bien !
La grande force de « Contenu sous pression », ce qui permet au disque de traverser les années, c’est bien évidemment l’alchimie de DJ Mehdi et du rappeur de la Mafia K’1 Fry, dont le phrasé spontané, anti-technique, trouve un écho jusque dans les morceaux de Despo Rutti ou Isha. Il n’y a pas un morceau où son son spleen du banlieusard n’est pas mis en valeur par les productions filtrées de DJ Mehdi, qui s’accorde au passage une grande liberté d’un point de vue créatif - pensons à l’ultime morceau, entièrement instrumental, voire à toutes ces outros où la mélodie se déploie, et emporte à chaque fois (Tant de choses, First,...).
Couronné de succès deux ans plus tôt pour « Les princes de la ville », où il laissait déjà transparaître son goût pour la house, le Parisien répète ici l’exercice et en profite pour synthétiser toutes ses influences (la soul, le funk, l'acoustique). Un peu comme s’il s’agissait pour lui d’effectuer un dernier tour de piste avant de s’en aller vers d’autres horizons - ses albums solos, ses projets pour Ed Banger, etc.
Sur bien des aspects, « Contenu sous pression », que les deux compères ont enregistré en multipliant les voyages (à Rome, à Venise), constitue donc un projet pivot dans la carrière de DJ Mehdi. Plus tard, on a même fini par apprendre que Karlito et lui ont rapidement entrepris de bosser sur un deuxième album, toujours plus teinté d’électronique, et enregistré cette fois aux côtés Boombass (Cassius) et le violoniste Vincent Segal.
« Ils avaient déjà tout, même l’idée de la pochette, il ne manquait que le titre, resitue Manu Key dans sa biographie (Les liens sacrés). C’est alors que Karito a fait écouter l’album à ses potes du quartier, la douche froide ! « Mais c’est quoi ça ? T’es pas un pédé. Arrête ton truc électro avec du rap, c’est pas bon ». Karlito a directement changé d’avis et a demandé à Mehdi de tout effacer. Ils lui avaient tous dit que c'était nul, tout comme ils l'avaient fait pour son premier album, alors même que les mecs de la Mafia avaient tout validé. Finalement, il a laissé tomber ce projet définitivement alors qu'il y avait une matière incroyable. »
« Contenu sous pression » est heureusement bien plus qu’une maigre consolation : c’est à la fois la digression d’un rappeur sur la vie en banlieue et sur son difficile apaisement, ainsi que l’énième coup de maître d’un producteur en quête de croisements inédits.