2017 M09 29
Le fait d’être passé de 30 musiciens pour ton premier album à une formule en trio pour « Rythmes et Botanique », c’est une restriction budgétaire ou c’est simplement l’envie d’essayer autre chose ?
L’envie de changer de méthode, surtout. L’enregistrement du premier album était trop lourd, je n’ai pas pris tant de plaisir que ça à le réaliser. Comme j’étais encore en développement, on me conseillait d’ailleurs de bosser avec un ou deux beatmakers histoire de réduire les coûts. C’est pourquoi j’ai décidé de revenir à ce que je faisais à l’époque des scènes ouvertes, à des morceaux moins figés, plus spontanés. J’ai appelé Guillaume Poncelet et Blanka (La Fine Équipe), et on est parti en résidence à Evry. Théoriquement on aurait dû enregistrer en octobre dernier, mais tout a été décalé à cause du succès de mon premier livre (Petit pays). Ceci dit, j’avais toujours envie de sortir mes morceaux. Sur les quinze que je jouais sur scène, j’en ai donc retenu cinq et on a monté une tournée dans la foulée.
Ta démarche me fait parfois penser à celle de Kery James. C’est une influence ?
J’aime beaucoup ce qu’il fait depuis Ideal J. D’ailleurs, avec mon premier groupe, Milk Coffee and Sugar, on avait fait une chanson (Alien) en réponse à son titre Banlieusard. Je n’étais pas d’accord avec certains propos de ce morceau et je tenais à le lui faire savoir, ce qui est toujours difficile quand tu es fan de quelqu’un. Tu n’as finalement que deux possibilités quand ça se produit : soit tu lui tournes le dos, soit tu tentes d’entrer en contact avec lui. Bon, ça n’a pas marché à l’époque, mais on a fini par partager un plateau au Festival Nuits Carrées à Antibes cette année.
« Des mecs comme René Depestre m’ont ouvert de nouveaux horizons »
Dans une interview, tu dis avoir arrêté d’écouter NTM et IAM après avoir découvert les poèmes du poète haïtien René Depestre…
En réalité, je n’ai jamais arrêté d’écouter du rap. C’est juste que des mecs comme René Depestre m’ont ouvert de nouveaux horizons, un champ de possibilités que je n’aurais jamais pu découvrir si je n’avais écouté que du rap. Des poètes de sa trempe, ça m’a permis d’aller vers un hip-hop qui se singularise, de nourrir mon écriture et de comprendre qu’on peut être aussi violent et hardcore en disant « dans le noir métal de ta colère en crues » que « je vais buter un type des Assedic ».
Là, tu sors le clip de Tôt le matin. Pourquoi ce titre en particulier ?
À vrai dire, j’aurais aimé clipper les cinq morceaux de l’EP, aha ! Pour Tôt le matin, l’idée était de le tourner au Rwanda, où je vis actuellement. On avait un scénario, mais ça a échoué. Du coup, on est parti à la montagne pendant dix jours et on a tourné cette version où on voit trois ados qui se lèvent au sein d’un quotidien qui les accable. Ils décident alors de déserter leur vie, se rencontrent dans un train et partent ensemble vers l’inconnu. Ça rejoint l’idée du morceau, qui est celle d’un nouveau départ. Mais Tôt le matin n’est pas le premier clip de l’EP, il y avait déjà eu celui d’Irruption.
Dans Irruption, justement, tu conclues en disant que l’on n’est pas tous condamnés. C’est important de mettre un peu d’espoir dans tes titres ?
Le problème de nos sociétés, c’est qu’on a fait de l’espoir un mot naïf et niais. Mais cette mélancolie et ce cynisme, c’est un luxe que peuvent simplement s’accorder les jeunes des pays riches. En fin de compte, c’est facile de se dire que l’on va profiter de l’instant et simplement se défoncer sous prétexte que la politique ne mène à rien, que les relations amoureuses sont compliquées et qu’il n’y a plus de travail. Crois-moi, je vis au Rwanda depuis deux ans et j’ai fini par comprendre que l’important est de rester crédible face à des gens qui, même dans les pires situations, gardent le sourire et la foi.
« Je ne suis allé taper à aucune porte pour réussir ».
Pour ton premier album, tu as reçu le prix Charles-Cros, et pour ton premier livre, le Prix Goncourt des lycéens. Tu n’as pas l’impression d’être un enfant gâté de l’industrie culturelle française ?
Ce qui est sûr, c’est que je ne suis allé taper à aucune porte et que tous ces prix ne m’amènent rien, hormis de la fierté. Tu sais, j’ai été parmi les découvertes du Printemps de Bourges avec Mik Coffee and Sugar. C’est clair que ça nous a permis de faire plein de concerts et d’avoir une assise, mais tout ça ne m’est d’aucune aide lorsque je suis en studio ou devant mon ordi pour écrire. Au contraire, ça ajoute de la pression, on se dit qu’il faut à tout prix éviter de s’institutionnaliser pour ne pas perdre la sève. Je suis bien entendu très fier de tous ces prix, mais je préfère remplir des salles. J’ai besoin de challenge, et c’est ce que j’aime dans le rap. Le genre évolue constamment, les gens ont tellement peu de scrupules à effacer les anciens que ça t’oblige à te renouveler en permanence, contrairement à la chanson française où on voit les mêmes figures depuis trente ans. Pas parce qu’elles sont créatives, mais parce qu’elles l’ont été. Je ne veux pas de ça.