2017 M06 13
“Il y a de l’électricité dans l’air du temps” rappent les Rennais sur Temps électrique. C’est vrai que grâce à des clips tournés par leurs propres moyens dans des zones pavillonnaires ou devant des chalets Pôle emploi, ils ont réussi à propager un rap inventif, juste et direct. Loin d’être des clowns de passage, ils sont devenus les chouchous dans les cours de récré où ceux qui rongent leur haine et leur ennui trouvent dans cette poésie du réel des punchlines gravées comme le sourire dans un BN. Nous aussi, on a voulu croquer dedans.
Quel a été le déclic qui a amené à la création du collectif Columbine ?
Lujipeka : Après le lycée on était tous réunis dans une colocation. On faisait du son ou de la vidéo chacun de notre côté, certains travaillaient, d’autres non.
Foda C : On a senti que la qualité était là, alors on s’est lancés. Le seul moyen pour arriver au niveau ce qu’on consomme sur internet, sans avoir de moyens, c’était de tout faire nous mêmes : que ce soit les vidéos et même les mails de promo auxquels personne ne répondait au début.
Vous vouliez apporter quoi au rap français ?
Foda C : On s’est mis à parler de l’école car on voulait évoquer le mal-être qui y règne et dont personne ne parlait, même pas dans les films. On n’avait pas l’impression d’être représentés par ce qu’on écoutait ou consommait en art, et c’est d’ailleurs pareil au niveau des médias.
Lujipeka : Le rap tourne forcément en rond, surtout en ce moment. On n’a pas envie de suivre les tendances, si quelqu’un a déjà fait quelque chose, ça ne sert à rien de le refaire. C’est comme ça qu’on gamberge quand on prépare un son.
Columbine parle beaucoup de la séparation entre le monde des enfants et celui des adultes. Où vous situez-vous, maintenant ?
Foda C : Ces deux albums parlent de notre passé et le dernier ce n’est pas encore l’album de la maturité. Il n’y a pas la volonté de dire qu’on a vécu une enfance malheureuse ou différente, c’est brut et intuitif. On a touché un public plus jeune que ce qu’on imaginait, on faisait un rap qui ne nous paraissait même pas accessible au début. Et au final on s’est rendu compte que ce qu’on dit est ressenti par toute une génération. C’est là que ça devient fort.
« Obligatoire de parler de pulsions sexuelles, de l’obsession pour l’argent, sinon tu te mens à toi-même. »
Vous tournez l’argent au ridicule dans vos clips, est-ce une façon de hacker les codes bling bling du hip-hop américain ?
Lujipeka : L’argent n’est pas notre motivation principale mais on n’est pas non plus des rappeurs puritains…
Foda C : Tu es obligé de déconstruire un peu les désirs, les fantasmes quand tu fais du rap, ou même de la chanson. Si tu parles pas des pulsions sexuelles, de l’obsession pour l’argent, alors tu te mens à toi-même. Pour nous, le bonheur c’est de faire un bon son. On se moque un peu de la bourgeoisie dégénérée parce qu’on a aussi bien vécu dans les quartiers pauvres que riches et c’est marrant de se mettre dans la peau d’un personnage qui jette les billets dans la piscine.
L’humour que vous injectez dans les textes, dans vos vidéos, est-ce une façon de s’opposer à un certain rap français ?
Foda C : On ne s’oppose pas, on fait le même rap que tout le monde, on s’influence de plusieurs styles musicaux et des rappeurs cains-ri, comme les autres.
Lujipeka : On ne cherche pas à être des outsiders à tout prix.
D’ailleurs vous n’êtes plus vraiment des outsiders, ce succès vous a-t-il semblé trop rapide par moments ?
Lujipeka : Ça a pris son temps quand même. On a commencé en 2014 et là il n’y a encore rien de joué. Quand on est en concert on passe pour des restas alors que dans la vie de tous les jours, on va acheter notre pain. On est divisés en trois colocs, tous dans la même ville.
« On ne fera pas du rap toute notre vie. »
Vous avez tous grandi en écoutant la même chose ?
Foda C : On a des références communes mais on écoute plein de choses récentes. On est aussi très lassés, on ne fera pas du rap toute notre vie. On kiffait beaucoup l’Auto-tune, mais maintenant on commence à trouver ça un peu ringard.
Lujipeka : Il faut sortir de sa zone de confort. Là, on prend des cours de chant.
L’une des meilleures punchlines d’Enfants Terribles c’est : « J’brûle ma paye, j’brûle Gainsbourg avec. » Est-ce aussi un ras le bol de la tradition musicale française ?
Foda C : Je n’aime pas beaucoup Gainsbourg et dans ce son-là je réglais un peu mes comptes. Je dis : « T’es bonne mais t’es débile, t’es une Charlie t’es aux Beaux-arts. » C’est mignon.
Lujipeka : C’est sur le côté Charlie, un peu mouton. Ce n’est pas par rapport aux attentats, c’est plutôt le côté suiveur qui nous fatigue, les gens qui ont tous les mêmes références, Tarantino-Gainsbourg.
Columbine sera en live le 15 juin à Nantes au Stéréolux, le 24 juin à Montendre au festival Free Music, le 25 juillet à Lyon au festival Woodstower, le 26 août à Saint-Cloud à Rock en Seine.