La scène indépendante japonaise n’a rien à envier à l’Occident

  • Alors que Japon rime avec sashimi, cosplay délurés et humour porno-potache, le pays du Soleil-Levant reste ce qu’il est : un ensemble d’îles où fourmillent des groupes aussi invraisemblables.

    Comparé aux scènes contemporaines, le Japon fait preuve d’un certain sens de l’autarcie. Indie-rock, pop, post-hardcore, abstract hip-hop, techno expérimentale… L’éclectisme des Nippons s’entretient avant tout grâce à une culture du live et un certain goût pour l’excentricité. Ce qui, évidemment, favorise la mixité naturelle des genres, comme en témoigne la grande Tokyo. Technoville quasi fictionnelle, la capitale constitue une sorte de cellule autosuffisante regroupant artistes, lieux de représentation, maisons de disques et mélomanes pour porter le Quatrième Art dans ses limbes célestes. Ne nous méprenons pas, en voyant l’éventail de ce qui se présente sur chaque scène le soir, on jalouserait presque la terre nipponne. Voici quelques exemples.

    LITE. Dans un langage courant et compréhensible, la physique quantique dépeint les comportements divers et variés des atomes, des particules et de tout ce qui se trame dans un univers microscopique. Dans un parallèle musical, LITE en caractérise la plus belle métaphore. On pose l’iris sur l’oculaire du microscope auditif pour voir Battles, les Mars Volta et quelques riffs à la Biffy Clyro se trimballer sur l’échantillon d’ADN. Et puis on comprend.

    The pillows. Le groupe est au rock japonais ce que Yoda est à l’Ordre Jedi : un gage de sagesse, une épaule sur laquelle se reposer, une source de savoir dans laquelle piocher. On voudrait presque les comparer à Nada Surf vu la concordance des profils  longue discographie, rock spontané  mais le trait de caractère commun au trio d’Hokkaidō et à la bande de Matthew Caws, c’est bien la constance. Leur premier album « Moon Gold » est sorti en l’an de grâce 1991 (« Nevermind », Dinosaur Jr. sans Lou Barlow, Losing My Religion, Kyuss avec Nick Oliveri…). Le reste appartient à l’histoire.

    Tricot. Quatre jeunes femmes qui tricotent, une idée qui semble farfelue en 2017, renvoyant à une image clichée de la femme des siècles précédents. Mais on ne parle pas tant de chandail ou d’écharpe, mais plutôt de belles mélodies tissées avec passion et minutie. On saute en tongs et on danse en short sur des morceaux pop éclatants de joie, au goût de fraise Tagada.

    The fin. Vaste royaume à la résonance mondiale, l’indie-pop dissémine ses bastions un peu partout comme on dépose un pion sur le plateau d’un Risk. Au Japon, le gouverneur du genre s’appelle The fin., pratique le vol plané léthargique aussi bien qu’M83 ou Toro Y Moi, susurre la mélodie béate comme Phoenix et trémousse les foules aussi bien que Coasts. Expatrié à Londres, on ne s’étonne même plus d’un tel héritage.

    Mono. L’un des groupes japonais les plus occidentaux qui soit, voire nordique. C’est troublant comment un groupe peut sonner entre Mogwai et Cult Of Luna (sans les cris) dans un même morceau, tout en surfant sur la vague shoegaze de My Bloody Valentine. Et puis il y a ces mélodies sous-jacentes, dont les graines proviendraient presque du jardin Caspian. Improbable mais vrai. Comme si une telle marque sonore ne suffisait pas à nous rendre béats, ils figurent fièrement sur le même label que les grandioses Explosions In The Sky. La messe est dite.

    DYGL. De Londres à Tokyo, le rock n’a semble-t-il jamais transité aussi facilement. C’est probablement pourquoi DYGL (prononcé Dayglo) a tout d’un groupe de garage anglais, avec ses notes de guitares rétro et ses coupes de cheveux glorifiées par Oasis. Il y a comme une odeur de sable et de plage qui règne dans leur musique, comme si les instants de fougue à la Pigeon Detectives ou The Libertines laissaient une place aux Beach Boys, le temps d’une leçon de surf-rock. Une influence de Sa Majesté qui n’a rien d’invraisemblable à vrai dire : les Beatles remplissaient eux-mêmes le Nippon Budokan de Tokyo à l’été 1966…

    Nisennenmondai. On pense la techno comme une musique électronique ineffable. Et comme toujours, la liberté d’expression musicale japonaise vient y mettre son grain de sel, en 1999. À l’aube d’un nouveau siècle, trois gamines à peine sorties d’études se forment pour faire de la noise comme personne. Delay chaotique, bips répétitifs et ambiance cyberpunk… Un blocage dans l’espace-temps résume à merveille l’œuvre de Nisennenmondai (traduction littérale en japonais de « bug de l’an 2000 ») : de la techno avec des grattes qui ne s’arrêtent jamais, comme un ordinateur s’abandonnant à la latence.

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