2021 M12 20
Shame : « Drunk Tank Pink »
2021 a plutôt été une bonne année pour le rock, et il ne fait aucun doute que ces jeunes énervés venus d’Angleterre ont largement contribué à créer une dynamique avec ce deuxième album, sorti le 15 janvier dernier. À l'époque, on disait que la bande de Charlie Steen voulait botter le cul du punk anglais avec des morceaux qui racontent à quel point le royaume est au bord du gouffre. La situation n'ayant que peu évolué depuis, on peut légitimement penser que « Drunk Tank Pink », sans rien révolutionner sur la forme, sera toujours aussi pertinent en 2022. La qualité des mélodies, toujours aussi explosives et fougueuses, quoique désormais plus anxiogènes, est en tout cas là pour attirer l’oreille.
Geese : « Projector »
La jeune formation de Brooklyn n’a pour le moment dévoilé qu’un seul album, mais tous les titres qui y sont contenus renferment une certitude : celle d'avoir affaire ici à cinq kids turbulents, qui ont illico gagné leurs ronds de serviette à la table d'une nouvelle génération de punk-rockeurs, moins attirés par la lumière des projecteurs que par les riffs taillés pour accrocher l’oreille. Ici, tout est maîtrisé, presque volontairement référencé par instants (aux Strokes, à King Gizzard). Si bien que ce ne sont pas de simples histoires d’amour ou de biture que chante Geese, mais bien une déclaration d’amour au rock. Qui mérite d’être entendue.
Low : « HEY WHAT »
À défaut d'avoir pu compter sur des mastodontes en 2021, deux tendances se distinguent. D'un côté, de jeunes pousses tentent brillamment leur coup, contenant le désespoir d'une génération dans un même disque (« Mulholland Drive » d’Eyedress, par exemple). De l'autre, une vieille garde indépendante prend ses aises et met en son des albums courageux, très beaux, très libres, à l'image de « HEY WHAT » de Low, publié trois ans après « Double Negative », auquel on pense parfois pour mieux s’en éloigner.
Il faut dire que « Hey What » ne ressemble pas à grand-chose de bien connu. Abrasif, corrosif, volontiers extrême dans son rapport aux limites du son : le treizième album du duo américain, produit par BJ Burton (Charli XCX, Bon Iver...), est une œuvre intense. Et pourtant, derrière ce magma sonore, Mimi Parker et Alan Sparhawk n'oublient jamais l'essentiel : les mélodies, toujours aussi bien ficelées et fougueuses malgré une carrière vieille de 27 ans.
Squid - « Bright Green Field »
Les cinq gaillards de Squid sont originaires de Brighton, mais ils comptent bien ne pas en rester là. Leur signature sur Warp en atteste. Leur premier album également, tant « Bright Green Field » trahit l’envie de tout envoyer valser. Les tendances comme les mélodies conformistes ; le Brexit et son autocentrisme comme la société de consommation.
Sur chacun des onze morceaux rassemblés sur « Bright Green Field », la formation anglaise raconte ainsi son amertume quotidienne sur des mélodies labyrinthiques, qui orchestrent la rencontre explosive du post-punk, du jazz et du krautrock. Avec juste ce qu’il faut de poésie et de d’expérimentation pour être considéré autrement que comme un simple « groupe de 2021 ».
Mdou Moctar - « Afrique victime »
« La musique et l’émotion des mariages touaregs d’Agadez est exactement la même que celle des meilleurs concerts de punk occidentaux : c’est fort, énergique et puissant ». Lorsque que Michael Coltun, le bassiste de Mdou Moctar, parle des traditions festives d'Agadez, petite village situé au milieu du désert nigérian, cela donne tout de suite plus envie d'écouter la musique de ce quatuor que cette comparaison avec Van Halen faite par le label, Matador Records (The Goon Sax, Queens Of The Stone Age, etc.).
Qu'importe, après tout : l'essentiel est de savoir qu'« Afrique Victime » est rempli à ras bord de riffs séduisants, tantôt blues, tantôt électriques, comme pour mieux accompagner la valse émotionnelle des paroles, entre fierté et diatribes politiques.
black midi : « cavalcade »
Contrairement à « Schlagenheim », premier disque fou et furieux enregistré en impro, « cavalcade » a bénéficié de moyens auquel son prédécesseur n’avait pas eu droit, ce qui se ressent sur le plan technique. Pensé avec minutie, construit autour d'histoires concises et composé de diverses structures mouvantes, ce deuxième disque du désormais trio londonien (le guitariste Matt Kwasniewski-Kelvin a préféré prendre soin de sa santé mentale) accueille à présent des sections de cuivres, des émotions plus tranchées et des influences toujours plus variées (le jazz-rock, le rock progressif, Frank Zappa, etc.). Un joyeux foutoir, en somme, qui se moque bien de savoir si tel ou tel morceau est radiodiffusable.
Black Country, New Road - « For The First Time »
Proche de black midi, le septuor anglais confirme la bonne santé du rock anglais, rarement aussi séduisant que lorsqu'il se confronte à d'autres genres (ici, le post-rock et le free jazz notamment), réinterprétés par des enfants sauvages prêts à faire consciemment ou non de leurs chansons des manifestes générationnels. Derrière le spoken word, les guitares saturées, les envolées free, les percussions moyen-orientales, les mélodies sinueuses et la production de l'omniprésent Dan Carey ((Fontaines D.C., Goat Girl, Tiña), il reste ainsi ces mots, fédérateurs et nécessaires : « Despite the tremors with we/Our love in blackest country be brighter ».
Anika - « Change »
Onze après avoir perverti quelques grands classiques de la pop sur son premier album, Anika a enfin pris le temps de revenir en solo. Avec un mot d'ordre on ne peut plus clair : « Change ». Ça parle de crise écologique, de liberté et des angoisses quotidiennes, sans jamais paraître pessimiste ou plombant. Deux raisons à cela : la voix d'Anika, toujours aussi hypnotique, toujours autant redevable au chant de Nico, et son talent d'auteure-compositrice, désormais évident.
Tropical Fuck Storm - « Deep States »
Au moment de parler de la bonne santé du rock australien, il aurait été tout aussi pertinent d'évoquer l'album d'Amyl & The Sniffers, incandescent et aussi jouissif qu'un crachat au visage des institutions. Impossible pour autant de le mettre au-dessus de « Deep States », un troisième long-format peuplé de nazis, de complotistes à la botte de QAnon, d'animaux éjectés de l'arche de Noé, de grands méchants (Murdoch, Epstein) et de références à la pop culture (ce sample magnifique du cri « Hadouken », extrait de Street Fighter).
En interview, Gareth Liddiard cite également Charles Mingus, Talking Heads, Paul Mc Cartney ou encore Miles Davis et Einstürzende Neubauten parmi ces multipes influences, ce qui en dit long sur la richesse de cet album aux grands écarts permanents, entre no-wave et art-punk, orchestrations déjantées et pop lettrée.
Dry Cleaning - « New Long Leg »
À la première écoute, il serait tentant de ranger « New Long Leg » parmi ces albums de post-punk joués en totale incompétence, avec néanmoins suffisamment d'entrain et de fougue pour susciter l'adhésion. Dès la deuxième écoute, on comprend toutefois que le premier album de la bande à Florence Shaw est très instruit. Pourquoi ? Parce qu'il multiplie les clins d'œil (à Television, à Black Sabbath, à William S. Burroughs), et parce que les mélodies nécessitent un sérieux savoir-faire, à l'image de cette basse qui dicte la cadence à suivre tout au long de ces dix chansons.
De là à faire de ces quatre Londoniens de vulgaires poseurs ? Que nenni : produit par John Parish (PJ Harvey), « New Long Leg » est un disque d'une puissance et d'une sincérité folles, permettant d'avoir une idée de ce à quoi ressemblerait un album de reprises de The Fall orchestré par Kim Gordon.