2022 M11 7
« Chaque histoire a deux versions », rappait Dinos à la fin d’Adeola Interlude, extrait de « Taciturne ». S’intéresser à sa carrière, c’est en effet se rendre compte qu’il existe au moins deux façons d’envisager sa musique, deux manières de comprendre ce qui agite le Parisien depuis son premier album, « Imany », paru en 2018 après des années de remises en question, d’échecs, de travail et de recherches.
Dans une première version, Dinos est ce rappeur mélancolique, celui qui, à longueur de textes, ne cesse de raconter le banal, le quotidien, les peines sentimentales, la déprime : tous ces symptômes de la fragilité humaine dont il parvient à saisir les infimes nuances grâce à une écriture au cordeau, très imagée et indéniablement honnête.
À l'écoute de Hiver à Paris, probablement son album le plus ambitieux, celui qu'il s'amuse à teaser depuis quelques années et sur lequel il convie aujourd'hui un casting de prestige (SCH, Hamza, Aya Nakamura, Akhenaton, Laylow, Ninho…), il est ainsi possible de déceler de grosses ficelles, que Dinos s'amuse à dérouler lui-même dès l'introduction :
« Vous êtes sur le point d'être témoin des pensées d'un homme perdu. Perdu comme la majeure partie d'entre nous. Essayant en vain de se retrouver. Errant entre les deux rives de la ville lumière, courant après le temps et l'argent sans même s'en rendre compte. »
Sauf que ce double album (un côté Rive droite, un autre Rive gauche) est plus complexe que ça, et c’est justement dans cette complexité que Dinos a choisi de tremper sa plume, toujours plus amère au sujet de la nature humaine. Un peu comme s’il s’agissait pour lui d’articuler les douloureuses questions de l’amour, de l’amitié et de la confiance (en soi, en l’autre) tout en énonçant les réponses qui font mal. On se dit alors que Nosdi est un artiste tourmenté, aussi mystérieux qu’impudique, tellement déçu des autres qu’il excelle dans l’art de poser un regard cru sur l’être humain, ses vices et ses vertus, persuadé, par exemple, qu'il a « besoin d'apprendre à faire confiance à la race humaine ».
Le hic, c’est que le Parisien est trop paradoxal pour être circonscrit dans cette analyse (« J'suis bipolaire comme la guerre froide ou l'fils de Donda (West) »). Ses textes sont trop ambigus, sa personnalité trop nuancée pour se limiter à cette lecture. C’est là qu’intervient la seconde version, celle où Dinos apparaît nettement plus au fait de ce qui agite son public. Dans celle-ci, celui que l’on surnomme El Pichichi est toujours à la recherche d’émotion, quitte à flirter par instants avec les tourments et la paranoïa, mais il s’autorise aussi quelques incartades comiques (« Wouuh », « Frank Ocean »).
Il n’a pas fait de cette mélancolie un argument de ventes, il a simplement appris à la dompter, y compris quand tout se déroule sans embuches dans sa vie - à titre d’exemple, il répète à qui veut l'entendre qu'il n'est pas aussi taciturne que ce que ses textes pourraient le laisser penser, affirmant en interview que Dinos est avant tout devenu « une marque », la garantie d'un certain son.
Dès lors, peut-on être certain de savoir qui est réellement Dinos ? Un rappeur anxieux qui, à l’image de Laylow ou Josman a pris le temps de façonner son style avant de rafler la mise, de donner un concert à Bercy et d'accéder aux disques de platine sans jamais renier ce qui fait la beauté de sa musique ? Un fan toujours très à l'aise lorsqu'il s'agit de construire ses rimes en référence à ceux qui l'ont fait grandir (ici, un clin d'œil à LIM, là, un sample Diam's sur Par amour) ? Ou un artiste inquiet à l’idée de ne pas être reconnu à sa juste valeur (« J’aurais dû faire 100 000 sur Imany »), qui se met à écrire pour les autres (Louane, Marie Plassard) et s’essaye par intermittence à des productions ensoleillées (« Tulum » et « Havana & Malibu », extraits de ses précédents projets), plus à même de toucher une grande audience ?
Là encore, la vérité est sans doute pile au milieu. « Hiver à Paris » en atteste. D’un côté, il y a cette musique qui s’entend comme le constat terrifié et terrifiant de la violence des relations humaines en même temps qu’un exemple hyperbolique de ses possibles conséquences. De l’autre, il y a ce que cette même musique traduit : un rapport ambigu au succès, Dinos laissant planer dans ses textes la crainte d’être embarqué et broyé dans sa propre histoire.
Cet entre-deux, c’est précisément ce qui fascine une fois de plus à l’écoute de ce double album, trop tiraillé entre des pensées contradictoires (« J'suis ridicule, j'manque de choses dont j'ai pas besoin ») pour ne laisser transparaître une écriture sincère, terriblement intime. Celle avec laquelle il écrit le mieux.