2020 M04 22
En 2019, Ninho rappait La vie qu'on mène, liant son destin à tous les délaissés du capitalisme, tous ces « élèves dissipés » qui écument leurs jours et leurs nuits aux pieds des tours bétonnées, tous ceux qui errent parfois sans but mais courent presque systématiquement « derrière les milliers ».
Au moment de sortir ce morceau, extrait de « Destin », son deuxième album, Ninho n’est pourtant déjà plus ce petit gars né dans une banlieue de l'Essonne. Après un album solo et deux mixtapes, il est déjà l'un des poids lourds du rap français. Courtisé par les rappeurs (Damso, Gradur, Jul, Maes,…), au point que l'on retrouve son nom sur un paquet de projets sortis ces dernières années, il s'est même permis d’être crédité sur l’un des singles les plus puissants, efficaces et populaires des années 2010 : Air Max, en duo avec Rim’k.
Des tubes, Ninho en a publié plus qu'aucun autre artiste en France. D'après le site Interlude, le rappeur cumulerait pas moins de 70 singles d’or, 25 singles de platine et 10 singles de diamant. De là à le considérer illico comme le rappeur le plus influent de notre époque ? La tentation est forte, d’autant que l’on ne peut limiter son impact à son simple bilan comptable, forcément influencé par sa fan-base, extrêmement fidèle et très présente sur les plateformes de streaming.
Sa force, outre d'être aussi à l'aise sur des beats classiques que sur de la zumba, c'est de conter la rue et ses dérives sans faux-semblant, ni fioritures ; à titre d'exemple, Rim'k raconte que, lors du tournage du clip d'Air Max, l'équipe technique le cherchait pendant des heures, avant de se rendre compte qu'il squattait chez les habitants, enchainant les selfies (les autographes de notre époque !) et les parties de jeux vidéo.
Cette authenticité n'est bien évidemment pas la seule explication plausible, surtout au sein d'une époque où une floppée de « businessmen en jogging », comme dirait Isha, écrivent leurs textes avec la rue en vis-à-vis. Disons que Ninho a pour lui cette faculté à faire le pont entre plusieurs générations d'auditeurs.
Son rap, ce n'est pas celui d'un nouveau riche, ce que son statut pourrait laisser penser : c'est celui d'un « jeune lossa » qui a poncé les classiques du rap français (Rohff, Salif, Nessbeal), qui envisage ses morceaux comme un écho à l’air du temps, c’est-à-dire avec un sens certain du gimmick accrocheur et des atmosphères aériennes, et qui ne songe pas une seconde à terminer ses phrases autrement que par un fameux « tu connais ». Après tout, c’est la vie qu’il a choisi de mener.