2020 M03 3
En musique comme ailleurs, il y a ceux qui grimpent les échelons et s’enrichissent au-delà de toute mesure, ceux qui n’y arriveront pas et tomberont inévitablement dans l’oubli, et ceux destinés à marquer leur époque, loin des tendances et des tubes calibrés pour ambiancer les foules. Depuis 2016, le sort de Laylow est scellé. Tout le monde le sait. Trop conceptuel, pas assez évident et efficace avec ses mélodies à tiroirs, le MC Toulousain fait indéniablement partie de ces rois sans couronne du hip-hop français, qui s’agitent dans l’ombre des vedettes du genre pour mieux innover.
Il y a déjà ces différents projets « Mercy », « Digitalova », « .RAW » et « .RAW-Z », qui se refusent à la pudeur et exposent des fêlures intimes sur des productions mutantes, bourrées d’audaces, de textures robotiques et d’intentions futuristes.
Il y a aussi ces clips, hautement cinématographiques et dignes des plus grands blockbusters hollywoodiens. De fait, nul étonnement à le voir aujourd’hui nommer son premier véritable album « Trinity », tant Laylow semble avoir mis au point sa propre matrice, symptôme d'un monde digitalisé où chacun est amené à confier sa vie émotionnelle à une intelligence artificielle - la Trinity en question.
Bienvenue dans la matrice. Lorsqu’on lui pose la question, Laylow parle de ses morceaux comme des « dérapages contrôlés », et cite en exemple Vamonos et De Bâtard, deux titres où il partage respectivement le micro avec Alpha Wann et son éternel complice, Wit. Sur sa lancée, il ajoute : « Je n’en ai rien à foutre de savoir si les gens vont retenir immédiatement mes morceaux. Je veux juste être lisible, tenter, même s’il y a des fautes, des regrets ou des « peut-être que si j’avais fait ça ou ça »… »
Comprendre : « Trinity » est un disque sans compromis, jusqu'au-boutiste et sans doute plus maitrisé que ses projets précédents. Un album où le verbe se fait économe, au service d’émotions exacerbées (on passe de la passion amoureuse avec Plug, à un concentré de violence brute avec Piranha Baby), de séquences complétement folles, intimes, parcourues de délires scénaristiques (à l’image des sept interludes) et de notes de pianos mélancoliques, assurées par l’omniprésent Sofiane Pamart.
À l'inverse de son précédent projet, « .RAW-Z », resserré sur dix titres, « Trinity » et ses 22 morceaux est donc une œuvre fleuve, volontairement inspirée de « Yeezus » et obnubilée par une idée, balancée dès le premier single, Megatron : « Les yeux de ces gens n’ont jamais vu le soleil de près, je le vois / Leur montrer le chemin, d’rallumer la flamme qui s’éteint, je me dois. » Comme une façon de rappeler que l'on ne peut éviter d'affronter ses sentiments, que l’on ne peut se terrer indéfiniment dans le monde digital et fuir la tristesse du monde réel.
Tout cela, Laylow le fait avec un réel souci du détail, des modulations de voix subtilement autotunées, une capacité à créer des ambiances singulières en à peine trois mots et une volonté constante d’expérimenter. Que ce soit aux côtés de francs-tireurs du rap français (S.Pri Noir, Jok'Air, Lomepal et Alpha Wann, donc) ou en solo sur des titres comme TRINITYVILLE, MILLION FLOWERZ ou DEHORS DANS LA NIGHT, décomplexés et pourtant cohérents, hybrides et pourtant terriblement humains. En France, il est probablement l’un des seuls à en avoir l’audace.
Crédits photo : Ilyes Griyeb.