Qui es-tu Tengo John, nouvel OVNI du rap français ?

Avec « Temporada », le MC du Val-de-Marne réunit les rookies du rap actuel (Krisy, Di-Meh, Loveni), laisse libre cours à ses obsessions et impose une esthétique à contre-courant, entre romantisme et futurisme. En clair, Tengo John met définitivement les pieds dans le plat et, autant prévenir la concurrence, il chausse large.

Un ticket pour l’espace. Sur le papier, « Temporada » est une mixtape riche de mille nuances. Tout comme son auteur, Tengo John : d'un côté, il y a cette passion pour la culture asiatique (les mangas, les jeux vidéo, la littérature), où il a puisé son inspiration pour son pseudo - Tengo John étant une référence au prénom du héros de 1Q84 d'Haruki Murakami, dans sa version japonaise et anglaise. De l’autre, il y a cette obsession pour le cosmos et ces territoires inconnus (Téléporter et Astéroïde ne parlent finalement que de ça). Mais au milieu de tout ça, il y a aussi ces délires rétrofuturistes, ce rap foncièrement hybride, cette extravagance dans le look et cette faculté à multiplier les contrepieds - dernièrement, il a notamment repris Tous les garçons et les filles de Françoise Hardy.

Esprit torturé. Toutes ces influences pourraient rebuter ceux qui ne jurent que par des musiques rapidement identifiables, facilement consommables. Mais l'imaginaire déployé sur « Temporada » est parfaitement incarné par le rappeur, qui trouve ici le parfait équilibre entre beats synthétiques, évidence pop et des textes qui préfèrent insinuer, suggérer ou créer une ambiance en trois mots plutôt que céder le pas aux punchlines imagées. Avec, à chaque fois, cet entre-deux, entre gloriole et coups de mou.

« J'ai des penchants déséquilibrés », confesse-t-il, comme pour rappeler que sa discographie (déjà riche de sept projets) n'est pas que conceptuelle : elle contient également tout un tas de questions intimes et de morceaux de vie qui donnent un relief singulier à l'odyssée de cet artiste, persuadé à raison d’évoluer en marge des codes dominants. « Malgré les possibilités et la diversité que propose le rap français actuel, je trouve qu’il y a un nouveau conformisme qui se met en place. Avec de nouvelles normes et de nouvelles délimitations », rappelait-il dans une interview à Shoes Up.

L’anamour. Davantage qu'un voyage intergalactique, suggéré par ces différents clips clairement inspirés par la science-fiction, « Temporada » est avant tout le reflet d’une aventure personnelle, où le verbe se fait économe, au service de l’émotion.

C’est aussi et surtout une déclaration d’amour : au rap, à sa génération (Krisy, Loveni, Di-Meh, Jok'Air ont tous répondu présent) et à la gent féminine ; selon une approche qui devrait fermer le clapet de ceux qui résument encore trop souvent le hip-hop à des textes misogynes écrits par de jeunes chiens fous prêts à culbuter votre sœur dans des positions inédites. Ici, pas de vulgarités, simplement des regrets (« J'essaie d'avancer mais t'occupes toutes mes pensées »), de la nostalgie et des paradoxes (« Je t'aime mais ce que je te déteste ») qui font de Tengo John, non pas le rappeur le plus tranchant de l’époque, mais indéniablement l’un des plus touchants.