Vous aimez les tubes ? Dites merci aux topliners

Longtemps, les "topliners" sont restés un secret de studio. La tendance, ces deux dernières années, a fini par s'inverser. À tel point que le grand public n'ignore plus que les plus grands noms du rap français doivent certains de leurs succès à ces faiseurs de mélodies, capables d'offrir le meilleur écrin aux MC pour poser leurs textes en toute harmonie.

Les temps changent, et les modes de production avec. Dans le hip-hop, il est par exemple évident que l'on ne produit plus un morceau de la même façon qu'il y a vingt ans. L'accès à la production musicale s'est simplifiée, quelques tutos YouTube permettent désormais de maitriser n’importe quel logiciel en quelques heures, les type-beats permettent aux moins téméraires de composer « à la manière de », et les beatmakers peuvent aujourd’hui se muer en topliner.

C’est même l’une des grandes tendances de l’époque : faire appel à ces faiseurs de mélodies, à ces mecs et ces femmes, à l'image de Meryl, qui imaginent à l’abri des regards des lignes mélodiques efficaces, une idée de voix, et imposent leur nom derrière les plus grands tubes de rap français. Un peu à l'image des collaborations entamées par Jean-Jacques Goldman aux côtés du gratin de la variété française, finalement.

Le grand public ne le sait presque jamais, mais DKR de Booba, PMW de Shay, Chocolat de Lartiste ou Débrouillard de Kaaris ont respectivement été pensés par des topliners tels que Pyroman, Le Motif, Joe Rafaa ou Noxious. Parfois, il s'agit simplement d'un gimmick, comme le fameux « pouloulou » de Niska conçu par Heezy Lee, mais la tendance est réelle. 

Et ce, même si Soulayman Beats (Lacrim, Gradur…) préfère minimiser, considérant que « ce terme est sur-utilisé ces derniers temps, ça en devient presque marrant de voir comment une chose si simple peut prendre autant d’ampleur ». Pourquoi ? Comment ? Il s’explique : « Avant que ce mot n’apparaisse la majorité des compositeurs/réalisateurs que je côtoie, moi y compris, on posait des « yaourts » sur nos prods, au moins le temps de voir si notre instrumentale était une base solide et propice à la réalisation d’un morceau. »

À lire les interviews des topliners actuellement plébiscités par les rappeurs, il n’y aurait pas de règles préétablies. Certains se contentent d'un « yaourt » vaguement mélodieux, d'autres prennent le contrôle du morceau et en définissent les contours, des paroles à la mélodie.

Soulayman Beats dit proposer « des mélodies de voix avant de travailler en concertation avec l’artiste pour trouver le meilleur angle possible », mais il lui arrive également de « livrer des morceaux clés en mains ». Même constat du côté Dolfa (Jul, Roméo Elvis, Damso, J. Cole) : « L’année dernière, j'ai bossé avec une artiste marocaine, Krtas 'Nssa, pour le titre Iron. Je ne parle pas arabe, mais je me suis fondu dans son univers, j'ai écrit quelques mots, selon le feeling et l'échange que je venais d'avoir, et j'ai posé une mélodie vocale en simulant l'accent arabe. »

Sur sa lancée, le producteur belge dit que les toplines ne sont pas adaptées à tous les artistes : « Kobo, par exemple, c’est un rappeur qui n’a pas besoin de ça. Il crée en fonction de la production, il a des envies assez variées et aime qu’un producteur compose en même temps qu’il discute avec lui. C’est un échange plus simple, plus rapide, et surtout plus précis. » Et Soulayman Beats de rappeler une vérité : « Les plus grands noms qui ont émergé de ce mouvement ne se sont pas fait un nom uniquement grâce à leur proposition de topline. Le Motif, Heezy Lee, Baille Broliker : tous proposent également une vision qui peut aller de la composition d’un morceau à la réalisation complète d’un projet (choix d’instrus, thèmes, angle d’écriture, topline, arrangements, etc.). »

Comme pour rappeler que les topliners ne sont pas simplement là pour remplacer toutes ces chanteuses R&B auxquelles les rappeurs faisaient appel dans les années 1990/2000 pour assurer leurs refrains.

Le plus dur, finalement, est de réussir à faire reconnaître ses droits. Car, si Soulayman Beats admet qu’il est plaisant de conserver une part de mystère quant à la façon dont naissent les tubes, précisant que l’on « se fiche de savoir qui, chez Coca-Cola, a inventé le colorant, défini le pourcentage de sucre ou imaginé le packaging ».

Dolfa avoue avoir parfois rencontré des difficultés à faire valoir ses droits : « Pour Tchoin, le tube de Kaaris, que j’avais écrit pour Fally et Poupa à la base, ça a été une vraie galère. Aux États-Unis, en revanche, j’ai l’impression que la donne est différente. Pour My Nigga Just Made Bail, on s’amusait avec Bas en studio, on balançait plein d’idées pour s’amuser et, finalement, une fois de retour en Amérique, il a repris un bout de la mélodie vocale, le gimmick et le flow que je lui avais présentés. Ça aurait pu s’arrêter là, personne n’aurait été au courant que j’avais bossé sur ce morceau qu’il partage avec J. Cole. Mais non, il m’a appelé et m’a crédité en tant qu’auteur. »

Le producteur belge balance même deux conseils pour terminer.

Un : « Ne pas oublier que la voix est un instrument complémentaire aux beats, que c’est elle qui permet à l’auditeur de s’approprier les morceaux. »

Deux : « Ne pas hésiter à aller piocher des gimmicks dans la pop ou d’autres genres musicaux. Après tout, la base du hip-hop, c’est un mélange, une volonté de s’approprier un tas d’idées pour rendre le tout homogène. Certains critiquent, mais ce que fait Jul en reprenant la ligne mélodique de Barbie Girl d’Aqua sur My World, c’est exactement le même principe d’appropriation qu’Afrika Bambaataa avec Kraftwerk sur Planet Rock»