2021 M11 30
Dans son livre Rock’n’roll Justice : une histoire judiciaire du rock, il raconte les plus grandes affaires ayant bousculé et façonné le milieu rock. On y retrouve des histoires célèbres, comme celle du manager véreux Allen Klein, le conflit entre les membres de Pink Floyd ou l’assassinat de Tupac ; mais aussi des moins connues, comme les 186 fois où Bob Dylan est cité dans une décision de justice, ainsi que des plaidoiries et réquisitoires imaginaires pour Sid Vicious ou Ron Mael. L’auteur nous donne toutes les clés de ce livre riche et étonnant.
D’où est venue l’idée de réaliser un tel livre ?
Je suis avocat en droits des affaires, j’ai un cabinet avec une douzaine d’associés. On gère des levées de fonds, disputes d’associés, contentieux en tous genres. Avant ça, j’ai fait du droit pénal, et défendu un ancien officier rwandais [Pascal Simbikangwa, accusé d’avoir joué un rôle central dans le génocide de 1994, ndr]. J'en ai tiré un livre [Un génocide pour l'exemple, 2015, éditions du Cerf], et c’était très dur. J’ai donc voulu écrire sur un sujet plus léger. Au départ, je voulais partir sur un format à la Philippe Manœuvre, faire ma discothèque idéale. Mais un ami éditeur m’a conseillé – très justement – de trouver un meilleur angle. Il venu tout logiquement : j’ai accès à d’autres avocats, ainsi qu’à des décisions judiciaires. Et le rock n’avait jamais été traité sous cet angle. J’ai d’abord proposé des chroniques à Rock’n’Folk, qui sont publiées sous le nom « Et justice pour tous » [plusieurs d'entre elles sont reprises dans le livre, ndr]. C’est à partir de là que j’ai voulu en tirer un livre, en essayant d’aller plus loin, de ne pas se limiter à des procès, mais aussi des faits de société.
Vous connaissiez déjà certaines des affaires dont vous parlez dans le livre ?
Quelques unes, oui. Je savais par exemple que Jim Morrison avait été condamné en Floride, et que cela l’avait mené à s’exiler en France. Mais je ne connaissais pas les détails, par exemple qu’il avait été gracié en 2017, ou qu'il n’y avait pas vraiment de preuves. J’ai eu ses deux avocats au téléphone, qui m’ont tout expliqué. Je me souviens aussi qu’enfant, j’étais fasciné par la chanson de Bob Dylan sur Hurricane Carter, boxeur condamné pour meurtre, à qui je consacre un très long chapitre. Ce n’est pas une affaire qui arrive à un rocker, mais un rocker qui défend bec et ongle un sportif. Et Dylan est un avocat complètement hors normes. Je ne sais pas si ça m’a poussé dans ma vocation, mais cela m’attirait déjà. Et je suis étonné que personne n’ait creusé ces histoires comme j’ai voulu le faire dans ce livre.
Ces affaires relativement connues ont servi de point de départ ?
Tout à fait, puis j’ai découvert d’autres affaires. Par exemple que le manager Albert Grossman avait fait signer à Janis Joplin une assurance contre la mort, et qu’il a réclamé de l’argent après le décès de la chanteuse. Ou que la maison de disques des Sex Pistols s’est retrouvé devant un tribunal pour indécence, en se basant sur un très vieux texte abrogé depuis. Des choses que je n’imaginais pas. Et je pense qu’il y en a encore d’autres que je ne connais pas et que j’aimerais développer.
Il y a des affaires qui ont été mises de côté pour le livre ?
J’ai voulu construire le livre en une dizaine de chapitres, dont un sur la France. Et là, tout Serge Gainsbourg, ou presque, a été mis de côté. Je n’ai gardé qu’un cas, plutôt technique. Il y a aussi le cas de la succession de Johnny, ou encore tout ce qui concerne le racisme, l’appropriation culturelle, avec notamment Sly Stone. Je n’ai pas voulu tout dire, le livre n’est pas une encyclopédie. C’est une première anthologie, qui a sûrement vocation à avoir une suite. Parce que ces histoires me fascinent, en tant qu’assoiffé de rock comme de justice.
Quel point de vue vouliez-vous défendre ?
Mon idée c’est de comprendre l’histoire du rock à travers le prisme judiciaire. Et cela peut être éclairant sur certains groupes. Par exemple les Kinks, qui n’ont pas pu faire fortune aux États-Unis car ils y étaient interdits. Ce qui les a poussés à se construire autrement. Cela permet aussi de montrer comment l’industrie musicale s’est bâtie, avec ces managers, ces négociations. Quand Bowie se fait arnaquer une première fois par son manager, il va chercher à maîtriser toute la chaîne de production de sa musique. Ce qui lui a permis d’être novateur, notamment sur le téléchargement. Ce qui m’importe ici, c’est l’angle judiciaire : tout finit soit par une négociation, soit devant un tribunal.
Il y a aussi une démarche de vulgarisation du milieu judiciaire, avec ces procès imaginaires.
Oui, j’ai eu cette envie. Je trouve que c’est compliqué d’entrer dans le monde judiciaire. En faisant des procès imaginaires pour Sid Vicious, on un réquisitoire imaginaire contre Jean de Breteuil [dealer qui aurait fourni à Jim Morrison une dose mortelle d'héroïne, ndr], j’ai tenté de montrer les arcanes de la justice, expliquer de grands principes comme l’intime conviction. Le livre s’adresse autant aux fans de rock qu’aux amoureux du monde judiciaire ou aux étudiants en droit. J’ai essayé rendre ces affaires vivantes, de raconter les choses rapidement pour qu’on ne s’ennuie pas.
Y a-t-il aussi une volonté de dépasser le cadre du rock et de la justice ?
Oui, car les artistes interviennent dans les débats de société. Comme Neil Young, sur les OGM, ou Billie Nelson sur le cannabis. Et ils ne le font pas forcément maladroitement. Ces musiciens font tellement peur à la société qu’ils sont parfois filés par les services secrets. Lennon a été écouté en permanence par le FBI, et son avocat a contourné ça en communiquant en yiddish. Je reviens aussi sur l’histoire du fameux « parental advisory », obtenu par la femme d’Al Gore. Les artistes ont contribué à changer la société.
Avec un sujet comme ça, il était difficile d’éviter les affaires plus sordides. Comment avez-vous abordé ces cas ?
Je me disais qu’ils devaient figurer dans le livre. C’était aussi une façon de porter un regard sur leurs auteurs, de les critiquer, que ce soit le féminicide de Phil Spector ou l’affaire Bertrand Cantat. J’ai aussi essayé de mêler ça à d’autres affaires qui amènent à se poser la question de la séparation entre l’homme et l’artiste. Mais c’est une petite partie du livre. J’ai essayé de parler de tout cela avec objectivité, et j’ai échangé avec beaucoup d’avocats sur ces sujets. Cela permet également de raconter une part du rock plus sombre et sordide, qui a donc sa place dans le livre.