2022 M05 14
1863, c’est la date de création du métro de Londres, le premier au monde. C’est aussi le nom qu’a choisi ce média underground spécialisé dans les cultures dites « urbaines ». Comme ils l’expliquent sur leur site, ce n’est pas un hasard s’ils ont voulu s’appeler ainsi : « La culture urbaine est souvent stigmatisée et n’est pas mise autant en lumière que certains de ses frères d’arts. Mais comme le métro, elle s’est rendue indispensable et ouverte à toutes et à tous. 1863 souhaite la mettre en lumière dans son ensemble. »
En respectant leur ligne (éditoriale), ils ont dévoilé ce 11 mai une nouvelle compilation dont les wagons sont remplis d’artistes jouissant d’une renommée variée auprès du grand public. Cette deuxième mixtape, « Teahupoo », invite en son bord une vingtaine de rimeurs et rimeuses, comme Prince Waly, So La Lune, J9ueve, Captaine Roshi, Babysolo33 ou encore Sean. Pour les accompagner lors de ce voyage, on retrouve aux manettes leurs fidèles producteurs : JayJay, Kon Queso, Cartier, Izen et bien d’autres.
Avec 1863, rien n’est laissé au hasard, pas même les titres des deux tapes qu’ils ont jusqu’ici chapeauté. La première, sortie en janvier 2021 s’appelle « Tambora ». Elle emprunte son nom à un volcan qui, suite à une éruption en 1815, priva d’été toute une partie de la planète. De là, le concept de la mixtape était tout trouvé : une première moitié plus chaude composée de 7 titres suivis d’une seconde plus sombre longue de 6 pistes. Une idée originale qui réunissait 14 interprètes et 6 beatmakers, soit autant de découvertes musicales et textuelles.
Pour ce deuxième essai, là encore, la sémantique occupe une place particulière. « Teahupoo » se réfère à Teahupo'o, la célèbre vague qui ne cesse de déferler sur l’île de Tahiti. Une métaphore à peine cachée pour affirmer qu’une flopée de nouveaux talents est actuellement en train de s’abattre sur ce game.
À l’heure où le rap est plus protéiforme que jamais, « Teahupoo » a su capturer certaines tendances qui s’affirment, ou d’autres encore naissantes, tout en gardant une cohérence dans l’ensemble. Parmi elles, on retient d’abord des artistes connus de nos radars, comme Prince Waly, Captaine Roshi et Sean qui continuent de développer leur univers respectif et reconnaissable. À leurs côtés, il y a l’un des derniers phénomènes d’Internet, Winnterzuko. Auteur d’un rap honnête, ce qui marque chez lui, c’est cette façon de poser sur des productions encore très peu répandues, à cheval entre l’hyperpop et l’eurodance ; deux courants musicaux intimement liés.
Dans un autre registre, on retrouve J9ueve. Il incarne cette nouvelle génération acquise à la « plug ». Par ce terme, on parle d’instrumentaux planants et lascifs, inspirés par les voisins américains dont le beatmaker MexikoDro est une véritable figure de proue. Ce mouvement est souvent associé à une façon spéciale de poser ses mots, le DMV flow. Si J9ueve s’en écarte, H JeuneCrack est partisan de cette technique qui n’a que faire des temps, comme on peut particulièrement le remarquer sur la piste Emploi fictif.
Évidemment, la mixtape ne pouvait pas se faire sans cette « vague SoundCloud » dont Babysolo33 est issu. Sous cette appellation sont regroupés celles et ceux qui ont fait leurs armes via cette plateforme d’écoute de musique. Doucement, mais sûrement, cette artiste s’installe sur le devant de la scène en chantant sa mélancolie avec une verve acerbe, régulièrement sur un fond sonore vaporeux. L’inverse de Lazuli, qui elle, opte pour des rythmes beaucoup plus cadencés, d’inspirations volontairement latines.
Vous l’aurez compris, l’objectif de « Teahupoo », c'est de montrer le plus large spectre des hybridations du rap possible. Un panorama si vaste, qu’il est difficile à dépeindre dans son ensemble. Alors nous terminerons avec celui qui a teasé le projet, So la Lune, un artiste singulier au possible. D’abord, grâce à cette voix unique en son genre qui peut séduire autant que refroidir. Également par la complexité et la profondeur de ses écrits, qui eux aussi peuvent être à double tranchant. Quoi qu’il en soit, il est le maître d’un monde ultra référencé, dévoilé par bribes dans le clip de Tsukinatra, morceau de présentation du projet où Dawg Sinatra est en featuring. Une ouverture de disque à l’allure d’invitation à découvrir ce que cet autre visage du rap français peut offrir.