2022 M04 15
Injustement ou non, les précédents projets de Sean se rangeaient jusqu’ici dans une catégorie batarde. Ni totalement adorés, ni clairement oubliés, « Mercutio » (2019), « À moitié loup » (2020) et « MP3+WAV » (2020) font partie de ces long-formats appréciés et séduisants, mais à qui l’on sacrifie simplement un coin de neurones depuis leur sortie. Certains titres sont bien là, coincés dans notre mémoire. C'est juste que le rappeur parisien dégageait une telle aisance, un tel potentiel, une telle singularité dans la voix et la façon d'en exploiter toutes les tonalités que l’on attendait sans doute plus.
Égoïstement, on est donc ravi de savoir que Sean a préféré prendre du recul afin de peaufiner son style, d’expérimenter de nouvelles productions et de prolonger ses obsessions sans se soucier d'un hypothétique succès commercial - chose rare dans un paysage rap où tout le monde vieillit vite, et où une nouvelle tendance remplace rapidement la précédente.
Pour les habitués de ce rap spleenesque, défait des figures imposées, « Rester Prince » peut se révéler aussi surprenant qu’un morceau de Kalash Criminel nommé « La bagarre, la bagarre ». Traduction : ces treize morceaux s’inscrivent dans la continuité évidentes des précédents projets. Reste que la cohérence n’empêche pas la prise de risque (en cela, cette mixtape réserve quelques jolies surprises, plus dansantes, plus chaloupées), ni l’originalité, et encore moins la maîtrise. Sean, c’est cet étudiant du rap capable de faire des clins d’œil à l’histoire du genre (à Diams et sa « recherche d’un mec mortel », à Time Bomb et « ses bidons qui tiennent le guidon ») sans pour autant le scléroser dans un son ou une attitude.
On le savait adepte des personnages (Roland Moreno, Mercutio), passionné de cinéma (Le bon, la brute et le truand, Miyazaki) ou capable de métamorphose (À moitié loup), on le retrouve ici en prince, dans une démarche finalement moins égotique qu'ambitieuse. « On glorifie pas le trône, on glorifie ensemble le chemin qui y mène », revendique-t-il sur Twitter.
Sur le fond, « Restez prince » confirme Sean en tant que véritable storyteller : pas du genre à bomber le torse, le Parisien est plutôt de ces rappeurs qui mettent en scène des histoires, documentent le morose, accueillent des émotions indicibles, osent endosser d'autres identités et trouvent systématiquement les mots, tour à tour vulnérables et sombres, poétiques et anxieux, pour susciter l'émotion. « Dès qu't'entends l'refrain, sors ton briquet », rappe-t-il sur Piano Black, indéniablement l’un des moments forts de cette mixtape. Avec Plus jeune. Avec Train de vie. Avec Vide…
Preuve, s’il en fallait une, que la richesse musicale de ces treize morceaux (des déluges de cordes, un piano mélancolique, des symphonies de poche, etc.) crée une homogénéité qui encourage l’écoute de « Restez prince » dans sa globalité. Pourquoi ? Parce que c’est encore là le meilleur moyen de saisir toutes les nuances d’un rappeur prêt pour le couronnement.