2022 M03 18
Longtemps, Josman a semblé évoluer en retrait de la scène française. Exceptés les open mics (il a notamment remporté les End Of The Weak), le rappeur n'a jamais réellement pris le temps de se frotter à d'autres artistes, d'autres univers. Il a son propre producteur (Eazy Dew, voire son petit frère depuis quelques années, MYSTR), son clippeur (Marius Gonzalez) et cette équipe resserée lui paraissait suffisant. Cette autarcie a en tout cas donné naissance à des projets bien ficelés, parfaitement cohérents et toujours animés par les mêmes obsessions : le désir d’évasion, les galères quotidiennes, la quête de billets verts, cette drogue que l'on consomme pour tenter de noyer son spleen, et les filles, de préférence taille XS.
Avec le temps, Josman s’est toutefois ouvert à d’autres propositions. Ces derniers mois, on l’a entendu sur les albums de Squidji, Youssoupha ou Jazzy Bazz. Aujourd'hui, on le retrouve en très bonne compagnie sur son troisième album : Guy2Bezbar, Laylow, Sofiane Pamart ou encore Naza, le temps d’un titre ouvertement dansant (Ma lady), complaisant au sexe, à entendre comme l’un des rares moments légers au sein d’un disque qui a bien plus souvent du mal à cacher ses angoisses.
Hasard ou non, ces récentes collaborations coïncident avec un son plus vaste, parfois musclé (POP) mais sans doute moins enfumé aussi. C’est l’un des premiers constats formulés à l’écoute de « M.A.N. (Black Roses & Lost Feelings) » : Josman y parle nettement moins de substances. Signe que tout va mieux dans la vie de ce grand timide ? « J'ai besoin d'me poser, j'ai besoin de m'assagir », rappe-t-il sur McQueen/Givenchy, accompagné par quelques notes de piano - sa nouvelle obsession, qu'il assouvie depuis quelques mois.
À défaut de rire les oiseaux et chanter les abeilles (« J’suis pas d’humeur à la fête », affirme-t-il dès l’intro), Josman a au moins l'envie d'aller mieux, de se reprendre en main et d'entamer une Danse de la joie - du nom de l'ultime morceau, l'un des sommets de « M.A.N. », précisément le genre d’exercice de style où la voix et la technique de Josman prennent toute leur mesure, où la production, minimaliste sans être dépourvue d’émotion, charrie une atmosphère propice à l’introspection.
« Je ne serai jamais en couverture de magazines, déjà parce que je n'aurais peut-être pas forcément envie, confiait-il récemment dans Le Code. Mais le succès commercial, il peut-être là. J'ai pas mal de certifications... Je remplis des salles de concert. Mais je pense pas que ça me corresponde vraiment en tant qu'artiste d’être au-devant de la scène, tu vois ? […] Je m'en sors juste en offrant de la musique aux gens, en fait. »
Même si Josman se moque de l’avis des fans, des chiffres et des compteurs qui chauffent, il a quand même un avis pour tenter d’expliquer comment il est parvenu à envoyer bouler le déterminisme, à obtenir des singles de diamants (J’aime bien) et des disques de platine (« J.O.$ »), mais aussi à séduire un public très large, presque indéfinissable : en gros, cela va des adolescents à Marc Lavoine, qui a clamé tout son amour pour le rappeur de Vierzon sur le plateau de Quotidien. Il y a cette aisance à s'accaparer différents types de productions, ce goût pour les phrases simples et les images fortes, cette faculté à faire clinquer chaque mot, cette interprétation changeante, parfois rugueuse comme sur F̶i̶e̶s̶t̶a̶ (Interlude), d'autres fois posée (Hasta El Cielo).
En 17 morceaux, étirés sur près d’une heure, « M.A.N. » témoigne de l'évolution d’un artiste toujours plus maître de son savoir-faire, qui n'évite pas quelques facilités mais qui a l'intelligence de s'être débarassé des enchevêtrements de rimes qui pouvaient parfois nuir à son propos. C'est le disque d'un esprit tailladé par l’amertume, d'un jeune homme qui, en fait, n'en a pas fini avec ses névroses, d’un rappeur qui envisage chacun de ses titres comme un nouveau recueil de ses fêlures. Mort ce soir, Brûle ou Peace, Haine, Love, ce sont les maux d'un dégoût, d’une désillusion, d’une vision noircie. « Parfois, l'chagrin est trop grand pour s'glisser dans une larme ». Seule certitude : il n’est que rarement aussi séduisant que chez Josman et sa capacité à faire naître des chansons qui donnent autant envie d’entamer une thérapie que de boire seul chez soi.
Au milieu des multiples références faites par Josman (à des footballeurs, à Harry Potter, au Truman Show ou, une fois de plus, à Matrix), une se distingue : Léon. Peut-être la comparaison la plus pertinente. À l'image du personnage de Luc Besson, Josman est un solitaire, un « nettoyeur » (comprendre ici un mec prêt à dézinguer la concurrence sans faire trop de bruits) qui s'épanouit étonnement au contact de nouveaux venus, un homme d'apparence froide pourtant capable de tendresse, voire d'ambiguïté.
« La vie c'est comme ça tout le temps ? Ou c'est seulement quand on est petit ? », interrogeait naïvement Mathilda dans le long-métrage. Soyons sûrs que Josman lui donnerait la même réponse que Léon : « C'est comme ça tout le temps ». Un constat pessimiste, parcouru de remords, mais qui fait paradoxalement tout le charme et la singularité de sa musique.