Qui es-tu B.B. Jacques, nouveau visage du rap parisien ?

En une vingtaine de morceaux, la plupart réunis sur « La nuit sera calme », le Parisien a réussi à imposer un rap narratif, au verbe riche et à la vision noircie par ses rides nocturnes.
  • En France, il faut un certain courage pour se réapproprier ces deux initiales, « B.B ». À moins qu’il ne s’agisse d’une certaine folie, ce dont le Parisien ne manque pas, lui qui avoue avoir choisi « Jacques » parce que « Nique ta mère était déjà pris ». Le choix de son pseudonyme, qu’il attribue parfois à B.B. King, Charles Bukowski (Bluebird) ou à Jacques Chirac, en dit toutefois long sur le je-m’en-foutisme de B.B. Jacques, un artiste d'une vingtaine d’années, dont une décennie passée à rapper, uniquement guidé par ses déambulations et son Vague à l’âme.

    Avant de dévoiler ce nouveau single, il y a eu « La nuit sera calme », un projet qui présentait déjà les mêmes obsessions : les réflexions nocturnes, les exercices de style (métaphores, assonances, allitérations, tout y passe), la sobriété des productions, les pas de côté salutaires (le vaporeux Fend le ciel, la flûte de Bleu cristal, le travail sur la voix opéré sur La promesse de l'aube), et ce goût pour les textes semblables à des romans noirs. On tient pour preuve ce titre, inspiré par un ouvrage de Romain Gary, et cette pochette, qui reprend les codes graphiques des éditions Actes Sud.

    B.B. Jacques, d’origine libanaise, ne cherche visiblement pas à masquer ses références. Ici, un clin d’œil à la musique classique (En écoutant Brahms) ou à Verlaine et Baudelaire. Là, des mentions à Proust, Camus ou Zola (Palpite sous l’œil). Impossible pour autant de limiter le rappeur de Courbevoie à ces citations aptes à faire frissonner n’importe quel prof de français. Si les dix-neuf titres de « La nuit sera calme » intriguent, c’est aussi et surtout parce que B.B. Jacques manie la rime avec aisance, basculant en un instant de l’egotrip à l’introspection, du récit à la réalité la plus crue.

    Aux côtés de ses beatmakers (Kooking, Pense, Le Chroniqueur Sale), capables d'aller par instants vers des mélodies nettement plus orchestrées (Enfin seul), B.B. Jacques participe ainsi, consciemment ou non, à ce retour en force de la forme rappée, perceptible chez de nombreux artistes. Peut-être parce que l'époque est désormais trop sombre pour envisager la musique autrement que brute, nourrie par l'ennui, la solitude et le désenchantement. Peut-être aussi que certains d’entre eux n’ont plus envie de courir après le tube, d’autant que les récents succès d’Alpha Wann, Freeze Corleone ou Dinos ont prouvé qu’il était possible de toucher un large public avec des rimes techniques et des morceaux dépourvus de refrains chantés.

    À l’exception de De la lune, porté par le chant de Shadi, B.B. Jacques s’inscrit dans le même registre, avec ce flow précis, qui ne demande qu'à gagner en concision. À l’image d’Éclair brut, peut-être le titre le plus remarquable de « La nuit sera calme ». Il apparaît à la dixième position, et constitue très exactement son point d’équilibre ou de bascule. Après ça, l'interprétation se montre soudainement plus variée, comme soumise aux émotions et à des productions qui s'autorisent alors plus d'audace. Une impression de déjà-vu, dit l'un des morceaux. Si le titre séduit, il ment éhontement : B.B. Jacques affiche ici une belle singularité, tout en se faisant l’écho de la poésie grave d'une qui écume les nuits blanches par manque d'alternatives.