2022 M08 29
Ni vraiment la rentrée, ni vraiment les vacances, la temporalité Rock en Seine marque toujours l’occasion d’étirer un peu plus la saison des festivals. On y croise des vacanciers tannés par le soleil, souvent anglophones, des festivaliers déjà marqués par le retour du métro-boulot-dodo et, ADN rock oblige, beaucoup de cuirs et vestes en jean. Attirails de plus en plus rares dans les grands festivals, il faut l’avouer.
En même temps, Alex Turner et sa bande avaient répondu présent. Les Anglais en ont même profité pour annoncer la date de sortie de leur 7ème album la veille de leur concert parisien. De quoi affoler le petit monde du rock, et convoyer celui-ci à la soirée d’inauguration, jeudi soir, où le ping-pong entre les scènes nous donnait plus l’impression d’avoir posé les pieds dans un festival d’outre-manche qu’au domaine de Saint-Cloud.
Fontaines D.C., un déluge sonore d’une puissance à couper le souffle
À la fois curieux et impatient de découvrir ce que Grian Chatten et ses camarades irlandais pouvaient bien nous réserver en live, après la sortie de l’excellent Skinty Fia, on a fendu la foule pour grossir un peu plus le premier rang et ses rangées de drapeaux irlandais. Nom placardé en fond, lettrage gothique illuminé en rouge, le groupe s’arme de ses instruments et ouvre la voie à un Grian Chatten moitié punk, moitié joggeur, muni d’un survet’ à trois bandes et d’un débardeur blanc. Sans un mot, ils attaquent avec “A Lucid Dream” et embarquent le public dans leur rock intelligemment rageur et lettré.
Vissé à son pied de micro et mains dans le dos, Grian Chatten, se tortille dans une gestuelle décharnée rappelant, sans surprise, un certain Ian Curtis. De morceau en morceau, l’urgence sauvage de débiter, de donner à entendre, semble s’accentuer. La foule vibre, se libère progressivement. Tout comme leurs titres, de plus en plus fous et mélodiques, capables de transposer le domaine de Saint-Cloud dans la grisaille dublinoise, non loin de la chaleur d’un pub qui sent bon la Guinness. Évitant l'écueil de jouer uniquement les tubes, pour la plupart plus accessibles, de Skinty Fia, la formation irlandaise alterne les morceaux et signe un final d’une intensité folle avec le très politique “I Love You”. Passé le flot de paroles débitées avec force et gravité, le groupe se retire sans un mot, laissant le domaine de Saint-Cloud groggy. On en redemande.
Arctic Monkeys, communion totale
Têtes d’affiche britannique de cette première soirée, les princes du rock anglais faisaient leur retour en France après un live dispensable remontant à 2018. Sur le papier, le triomphe était couru d’avance : 7ème album annoncé la veille, scéno impeccable (malgré la présene d'un "golden pit" qui a causé la controverse), public massé et au taquet sur les paroles… La formation, qu’on pourrait croire muséifiée depuis ses derniers lives davantage taillés pour les très grandes scènes, a relevé le défi haut la main.
Matt Helders, à la batterie, lance les hostilités avec l’intemporel “Do I Wanna Know?”, le public explose et s’ensuit une performance aussi efficace que jouissive. On prend plaisir à réentendre le doux “Cornerstone”, le frissonnant “Crying Lightning" et à découvrir le virage funk que semble prendre la formation de Sheffield avec un titre exclu qui figurera sur “The Car”, nouvel album à paraître le 27 octobre prochain.
London Grammar, transe hypnotique
Toujours outre-manche, cette fois à Londres, le trio London Grammar qu’on a que trop souvent tendance à réduire au tubesque “Wasting my young years” est venu défendre son dernier album en date, l’électro-pop Californian Soil qui avait fait émerger la chanteuse, Hannah Reid, en tant que véritable leader du groupe.
Voix de contralto, démarche aérienne et débardeur blanc immaculé, Hannah Reid atterrit sur scène avec sa frange Jane Birkin tel un ange. Accompagné de ses deux acolytes, Dominic Major aux clavier/percussions et Dan Rothman à la guitare, le trio prend son envol progressivement, laissant la voix de Reid se déployer morceau après morceau, jusqu’à atteindre les envolées lyriques qu’on lui connaît bien. Contrastant avec la déflagration d’un Fontaines D.C. ou d’un Idles, vus la veille, les Londoniens nous transportent dans une douce extase hypnotique qui fait du bien, pourvues par les sonorités dynamiques et envoûtantes d’une instrumentation sobre mais efficace.
Squid, la surprise instrumentale
Alors que la plupart des festivaliers dégainent leurs lunettes 3D pour s’immerger dans la prestation du quatuor allemand Kraftwerk, on choisit de prendre la direction de la petite scène du Bosquet où performent les Anglais (encore), cette fois originaires de Brighton : Squid. Petit phénomène du rock outre-manche, récemment signé chez Warp (Aphex Twin, Flying Lotus) et qu’on évoquait ici, Squid ou calamar, en français, déploie ses cinq tentacules pour créer un mélange sacrément jouissif de post–punk, krautrock et rock progressif.
Portée par Ollie Judge, batteur et chanteur du groupe, la formation étonne avec une structure instrumentale riche et singulière : cuivres avec effet disto’, nappes ambient jouées au clavier nourries par des guitares éthérées perfusées aux effets expérimentaux… Souvent plus proches de l’électro ou du jazz que du punk, le quintet accouche de boucles hypnotiques qu’on prendrait presque pour de l’impro. Une dimension instrumentale et scénique appréciable, à l’heure où les formations poussées sur le devant des scènes se distinguent de plus en plus par leur minimalisme. Bref, un groupe à suivre de près.
Crédit photos : Jérémy Authier pour JACK / CANAL+.