Histoire du sample : toutes les fois où le rock a inspiré le rap

La pratique du sampling est très courante dans la musique, particulièrement dans le rap. Elle fait même partie de son essence. Depuis la création de ce mouvement à l’orée des années 80, les artistes ont donc été piochés par bribes dans l’œuvre des autres afin de composer des morceaux originaux.
  • Vous souvenez-vous d’Alain Mion ? Si oui, cela veut dire que vous faites partie de nos lecteurs assidus. Si non, dans ce papier écrit il y a quelques mois, nous vous présentions le travail de ce Français et de son groupe de jazz aussi obscur que pointu, Cortex, qui avait influencé le gratin du rap US.

    Rick Ross, Tyler, The Creator ou encore le défunt XXXTentacion, tous, ont allégrement utilisé son œuvre, sans nécessairement « clearer » leurs morceaux — c’est-à-dire payer les tarifs de ces emprunts qu’ils se sont réappropriés. Cette histoire avait donné lieu à un court documentaire dans lequel Alain Mion faisait part de son mécontentement. Outre le jazz, les rappeurs se sont aussi intéressés au rock : The Doors, Eagles, King Crimson… tous ces groupes sont dans notre sélection (non exhaustive).

    Beastie Boys - High Plains Drifter x Eagles - Those Shoes

    On ne pouvait pas débuter avec d’autres artistes que les Beastie Boys. Lorsqu’ils se sont lancés à la toute fin des années 70, Mike D et ses potes se sont faits spécialistes des aller-retour entre rap et rock. D’abord fascinés par le hard rock, le metal et Jimi (James) Hendrix, les New-Yorkais se sont aussi aventurés sur les terres d’une musique à guitare plus douce, à l’image de High Plains Drifter tiré de leur deuxième album « Paul’s Boutique » (1989) qui reprend Those Shoes des Eagles.

    Public Enemy - She Watch Channel Zero?! x Slayer - Angel Of Death

    À la façon de leurs aînés des Beastie Boys, les rappeurs de Public Enemy se sont aussi enfoncés dans le metal pour gonfler leur musique. Réputés pour leurs prises de position politique et leurs chansons dénonciatrices qui faisaient office de poil à gratter dans cette Amérique lisse, la team de Flavor Flav a enchaîné les disques d’or et de platine. Notamment avec « It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back » (1988), dont la chanson She Watch Channel Zero?! convoque Angel Of Death de Slayer.

    Snoop Dogg - Tha Shiznit x Billy Joel - The Stranger

    Dans la musique, il y a des duos qui ont marqué l’histoire. L’association entre le producteur Dr Dre et le MC Snoop Dogg fait clairement partie de ceux-là. Lorsque « Doggystyle », le premier album du Californien longiligne est sorti le 23 novembre 1993 chez Death Row Records — label de ses débuts qu’il vient de racheter —, la face du rap a été chamboulée. Les conventions ont sauté, et cette tendance s’est ressentie sur les samples choisis. C’est ainsi que The Stranger du pianiste Billy Joel a servi de base au morceau Tha Shiznit du natif de Long Beach.

    Lauryn Hill - Superstar x The Doors - Light My Fire

    Au moment où sort Superstar, Lauryn Hill en est effectivement une. Du haut de ses 23 printemps, lorsque la jeune femme envoie « The Miseducation of Lauryn Hill » (1998), premier disque solo instantanément devenu classique, la chanteuse en a déjà vu pas mal. Elle a notamment joué aux côtés de Whoopi Goldberg, sorti un album culte avec son groupe Fugees, a eu un enfant avec le fils de Bob Marley, Rohan et même participé au disque, « A Rose Is Still A Rose » (1998) de Mme Aretha Franklin. Rien d’étonnant à ce que ses goûts soient aussi bigarrés, d’où cette référence au titre des Doors.

    Jay-Z - 99 Problems x Billy Squier – The Big Beat 

    Ce morceau de Billy Squier est un brin spécial. Avant que Jay-Z ne s’en empare en 2004 pour son hit mondial 99 Problems, composant de la tracklist de son « Black Album » (2003), le rap US s’en est donné à cœur joie. Les groupes Run-DMC et UFTO se l’accaparent très tôt, puis suivent Ice Cube, A Tribe Called Quest, Nas… Que des pointures du hip-hop. Ce sample est devenu récurrent, et surtout, est présent dans toutes les époques de la discipline.

    Kanye West - Power x King Crimson - 21st Century Schizoid Man

    Le 22 novembre 2010, le cinquième album de Kanye West sort et il est instantanément acclamé par (presque) tout le monde. À l’intérieur de ce bijou d’inventivité, il y a Power, un titre qui se sert d’un des morceaux du groupe britannique King Crimson. On ne va pas vous refaire l’histoire de l’un ou de l’autre, simplement préciser que Declan Colgan Music Ltd, qui se voit payer une redevance pour l’utilisation de ce titre, vient d’intenter un procès à Universal. Selon le NME, les 5,53 % perçus représentent une part trop peu importante au vu des recettes générées par la chanson. Alain Mion, es-tu là ?

    Run The Jewels - the ground below x Gang Of Four - Ether

    On pourrait croire que les histoires entre rap et rock étaient une tendance propre à une seule époque. La preuve du contraire avec cette chanson pensée par un autre duo, celui du producteur new-yorkais El-P et du rappeur d’Atlanta Killer Mike. Pour leur dernier album en date, « RTJ4 » paru le 3 juin 2020, la paire a été fouiner jusqu’à Leeds, pour dénicher le morceau punk Ether, du groupe Gang Of Four. Histoire de boucler la boucle, ce disque sorti plus tôt que prévu embrasse les spécificités de leurs aînés, Public Enemy. C'est dissident et bien en phase avec l’actualité brûlante des États-Unis en 2020. 

    Bonus : Run-DMC - Walk This Way (ft. Aerosmith)

    Pour terminer cette sélection, on se devait bien de vous partager ce titre iconique, qui convie sur une même piste deux groupes qui le sont tout autant. La petite histoire derrière ce morceau, c’est qu’en 1986, Aerosmith est à un tournant de sa carrière. Afin de se remettre dans le coup, ils acceptent de réinterpréter Walk This Way, avec Run–DMC, qui jouit d’une jolie cote. Ça sera une première dans le monde du rock. Et cette collaboration fera avancer la façon de concevoir la musique à vitesse grand V.

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