2022 M02 11
Napster, eMule, Audiogalaxy… Ces noms vous sont-ils familiers ? Si oui, c’est que comme de nombreux internautes du début du XXIe siècle, vous avez passé pas mal de temps sur le PC familial à télécharger illégalement les chansons de vos groupes préférés. À cette époque, le secteur du disque connaît une crise sans précédent. Sans évoquer tous les détails qui ont amené cette situation, l’arrivée d’Internet et des sites pirates cités plus haut ont eu un impact certain.
Avec cette accessibilité nouvelle de la musique, plusieurs tendances ont émergé, dont celle des « mashups ». Le principe est simple : vous téléchargez deux morceaux différents, qui dans l’idée, n’ont rien à voir. Sur le premier, vous isolez la piste instrumentale, et sur le second, celle des voix. Vous en créez une troisième en mélangeant les deux extraits sonores. En gros, vous faites chanter un groupe sur une composition qui n’est pas du tout la sienne. Un petit exemple ci-dessous via l’association de Nirvana et Rick Astley avant d’aller plus loin.
Le phénomène aurait très bien pu s’arrêter aussi vite qu’il avait débuté, mais c’était sans compter sur Danger Mouse. Ce producteur a l’idée de mélanger l’album blanc (« The Beatles », 1968) des Beatles avec « The Black Album » (2003) de Jay-Z. Le résultat s’appelle « The Grey Album » et voit le jour en 2004. C’est un succès instantané. Encore plus, lorsqu’EMI, label détenteur du catalogue des Beatles à cette époque, tente de faire interdire le projet, comme Rolling Stone le racontait en février 2004. La manœuvre est sans effet et les téléchargements s’envolent.
Dans la foulée, la chaîne MTV se dit que ces collaborations entre artistes peuvent rapporter gros. Elle lance le premier épisode d’une toute nouvelle série intitulé pour l’occasion : MTV Ultimate Mash-Ups. Afin de marquer le coup, les Américains invitent Jay-Z, alors au sommet de son art. Le rappeur choisit personnellement le groupe Linkin Park comme partenaire de jeu. L’alchimie est telle, qu'à la place d'une seule chanson, ils décident de faire un mini-album de 6 titres. « Collision Course » est révélé au public en novembre 2004. Comme Billboard l’expliquait, ce projet collaboratif s’est rapidement hissé sur la plus haute marche de son top 200. En 2006, le morceau Numb/Encore sera auréolé d’un Grammy Awards, lors d’une cérémonie mémorable pendant laquelle les membres de Linkin Park et Jay-Z seront rejoints par… Paul McCartney. Un clin d'oeil au « The Grey Album » ?
Ce coup de maître, en plus de faire s’effriter les barrières entre les styles, a propulsé la culture des mashups dans la sphère grand public. Les morceaux se sont multipliés, tout comme les médiums qui les diffusaient, à l’image des sites Mash-Up Your Bootz ou Too Good for Radio. En France aussi, le phénomène a fait parler de lui. Par exemple, en 2013, le site Greenroom s’aventurait à faire un top 5, du plus cool au plus improbable. Classement dans lequel on découvrait notamment un frenchie, DJ Zebra. Un artiste qui, comme le rapportait Sourdoreille, préférait appeler ces mariages forcés des « bootlegs ».
Au fur et à mesure qu’on se rapprochait de 2020, cette tendance semblait s’estomper. Les mélanges de la sorte se sont raréfiés, en dépit de certaines tentatives d’aficionados dévoués : à oublier sur-le-champ malgré les millions de vues cumulées… La pratique redevenait petit à petit confidentielle, jusqu’au jour où… TikTok l’a fait exploser à nouveau. Un compte en particulier a sonné la révolte, celui du duo ALTÉGO. En fondant le Toxic de Britney Spears au Pony de Ginuwine — des chansons respectivement produites par The Neptunes et Timbaland —, ils trouvaient même un hymne à ce comeback.
Pour se rendre compte de la confirmation de ce revival, il suffit d’aller traîner sur les réseaux. Sur Instagram le « #mashup » cumule 1,9 millions de publications, tandis que sur TikTok, il réunit… 8,6 milliards de vues. Avec ces chiffres, il n’y a plus aucun doute : cette tendance est définitivement de retour. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? À vous de nous le dire.