2020 M09 9
S’intéresser aux connexions entre le rap et les jeux vidéo, c’est se retrouver sur les genoux, écroulé sous le poids d’une quantité impressionnante d’exemples en tous genres. On pourrait, c'est vrai, commencer par le plus emblématique de tous, GTA, mais l'histoire de la Radio Los Santos (avec N.W.A., 2Pac, Ice Cube, Cypress Hill dedans) est suffisamment connue. Non, le plus simple est encore de commencer par les prémices de ces deux genres artistiques qui naissent en tant que contre-culture au cours des années 1970 et finissent par se rencontrer dès 1991 avec ToeJam and Earl.
L’objectif ? Retrouver les pièces du vaisseau de deux aliens sapés comme des rappeurs afin de leur permettre de retourner sur leur planète. Le tout sur une bande-son qui crée des connexions entre l'esthétique 8-bits et les rythmiques hip-hop.
Depuis, les échanges se sont multipliés. Il y a d’abord eu PaRappa The Rapper, où le joueur est invité à appuyer compulsivement sur les touches pour former un texte de rap. Puis des exemples plus connus comme Wu-Tang Shaolin Style (avec une manette qui prenait la forme du logo du collectif new-yorkais, en « W » donc), la saga Def Fam (Vendetta / Fight for New York / Icon), la franchise NBA 2K (dont certaines B.O. ont été confiées à Jay-Z et Pharrell) ou, plus récemment, Cyberpunk 2077 (avec Run the Jewels et A$AP Rocky à la bande-son) ou Black Snake, dans lequel Orelsan et Dosseh faisaient une apparition.
À chaque fois, ces différents jeux assurent leur cahier des charges de divertissement populaire. Car c’est précisément ce que sont les jeux vidéo et le rap : des arts populaires qui se nourrissent l’un et l’autre. D'un côté, les développeurs contactent les rappeurs (Rohff pour Scarface en 2006) pour faire la promotion de leur dernière sortie, jouer les ambassadeurs (Booba pour Saints Row) ou pour mettre au point à leurs côtés des jeux capables de surfer sur leur image (50 Cent: Bulletproof, en 2005).
De l’autre, les rappeurs s’inspirent ouvertement de la culture jeux vidéo pour créer leur musique ou nourrir leurs textes de références connues de tous – souvent les mêmes (Metal Gear Solid, Resident Evil, Mortal Kombat, PES, etc.). C’est Booba qui rappe : « Tu nies les faits, mais j’étais là / T’as 6 étoiles dans GTA. » C’est TTC qui sample des bribes de la B.O. de Mario Bros sur Game Over '99. C’est Nekfeu qui fait directement référence à GTA dans un de ses textes : « Si j'te croise quand j'tré-ren près de ta caisse, j'appuie sur triangle. » C’est Zola qui nomme un de ses morceaux L1 L2. C'est Joey Starr qui prête sa voix à un militaire dans Titanfall 2. C’est Dizzee Rascal qui a commencé à produire ses propres morceaux grâce à un logiciel présent sur PlayStation au croisement des années 1990 et 2000.
Ces derniers mois, les connexions entre ces deux formes artistiques se sont intensifiées. Non seulement parce que ces dernières elles sont passées en trois décennies de « sous-culture d’analphabètes » (pour reprendre les propos stéréotypés de certains réac’) à "phénomène populaire" (on rappelle que GTA V reste le produit culturel le plus rentable de l’histoire, tandis que le hip-hop écrase la concurrence dans les charts), mais aussi parce que les rappeurs n’hésitent plus à investir l’univers fictionnel des jeux vidéo pour étendre leur aura. À l'image de Jul qui, en juin dernier, a conçu trois maps sur Fortnite pour faire la promotion de son dernier album « La Machine ».
À l’image également de Travis Scott qui, en avril dernier, a profité de la popularité du même jeu pour réunir plus de 40 millions de spectateurs le temps de trois concerts virtuels donnés en direct, augmentant ainsi ses streams de 124% dans la foulée. Sachant cela, difficile d'être d'accord avec le rappeur français Eden Dillinger qui, dans Huis-clos, prétend que « le rap est mort depuis Fortnite ». En 2020, hip-hop et jeux vidéo n’ont au contraire jamais semblé aussi bouillonnants d’idées.