Run The Jewels publie "RTJ 4", l'album d'une révolution en cours

Le quatrième album du duo américain était censé sortir le 5 juin. Mais Killer Mike et El-P ont décidé de prendre un peu d’avance et de le proposer à prix libre. Un disque en phase avec l’actualité brûlante des États-Unis.

C'est devenu une sorte de rituel : à chacun de leurs nouveaux albums, El-P et Killer Mike ont pris l'habitude d'avancer la date de sortie initiale et d'offrir en téléchargement gratuit leur dernier long format. Pour « RTJ 4 », cette générosité a peut-être un poil plus de sens : « Ça me semble être la seule façon de prendre part au combat, au-delà du simple fait de faire un beau geste », a déclaré El‑P, qui a rappelé que les dons récoltés sur leur site officiel seraient reversés à une association. « L’album sera disponible gratuitement pour quiconque veut de la musique. C’est la seule arme dont je sais me servir. »

Un propos qui rejoint celui de son partenaire de jeu, qui a confié s’être réveillé « en voulant voir le monde brûler » après avoir appris la mort de George Floyd suite à une énième bavure policière. Dans une interview accordée à Stephen Colbert, Killer Mike a publiquement apporté son soutien aux émeutes qui retournent actuellement l’Amérique, incitant les blancs à prendre part au combat : « S’il y a des émeutes actuellement dans les rues, il faut que vous commenciez à comprendre que c’est le moment aussi de vous lever avec le peuple qui n’a jamais arrêté de se faire tuer et frapper. Vous devez vous lever avec les communautés qui sont traitées comme ça tous les jours. »

Historiquement, Run The Jewels a toujours eu un pied dans l’entertainment, l’autre dans la politique - en 2016, ils affichaient leur soutien au candidat Bernie Sanders, invitant même ce dernier à introduire leur concert à Coachella. Sur « RTJ 4 », ces deux obsessions se manifestent à nouveau et entrent en connexion de la meilleure des façons. « C'est notre meilleur album », dit El-P. À raison : les deux compères y parlent d'esclavage (« Regardez tous ces maîtres d'esclaves qui posent sur vos dollars »), d’inégalité sociale, de brutalité policière, font des métaphores politiques en utilisant l’image de Godzilla, racontent des scènes de crime et mettent en scène un combat apte à faire fantasmer les gamins nés dans les années 1980 (Goonies vs E.T.), sans jamais donner l’impression de virer moraliste ou chiant.

En cela, Killer Mike peut compter sur les productions mises au point par El-P, trop variées et percutantes pour céder à la redite ou s’habituer au confort : il y a des influences country (Yankee And The Brave (ep.4)) ou gospel (Pulling The Pin, aux côtés de Josh Homme et Mavis Staples), des scratchs, des breaks de jazz et des guitares lourdes, mais aussi un saxophone sophistiqué et des basses aptes à retourner n’importe quel club.

À l’image de ce qu’ont pu incarner Ice Cube et le Bomb Squad ou Mike Dean et Scarface dans les années 1990, Killer Mike et El-P font coup double : ils dévoilent un album qui entre en résonance avec le contexte politique actuel et rappellent qu'ils sont possiblement les plus grands mélodistes du rap américain. « RTJ 4 », enregistré dans les studios de Rick Rubin à Los Angeles, c'est exactement ça : un quatrième album au rythme frénétique, puissant et fédérateur (rappelons que Pharrell, DJ Premier, Zack De La Rocha et 2 Chainz participent également au projet), où chaque mot semble concerné par le chaos du monde alentour, où « aucune seconde n’est gaspillée ».

Avec toujours cette aisance à mettre les formes (l’introduction de Yankee And The Brave (ep.4), semblable à celle d’une émission télévisée) et à étaler sans réserve leur mépris pour les injustices. Ainsi de ces mots tenus par Killer Mike sur Walking In The Snow, pensés comme un hommage à Eric Garner, sont une nouvelle fois d’actualité depuis le décès de George Floyd la semaine dernière : « Vous êtes si engourdi que vous regardez les flics étrangler un homme comme moi / Jusqu'à ce que ma voix passe d'un cri à un murmure : “Je ne peux pas respirer” / Et vous restez assis là, dans la maison, sur le canapé, et vous regardez ça à la télé / Le plus que vous puissiez faire est une diatribe sur Twitter et appeler ça une tragédie. »

Crédits photo : Timothy Saccenti