2020 M06 2
Il faut croire que les décennies se suivent et se ressemblent aux États-Unis. La ségrégation, les inégalités économiques, les brutalités policières : voilà une partie des problèmes auxquels sont régulièrement confrontés les Afro-américains, d'hier à aujourd'hui.
Cela concerne bien souvent des anonymes, à l'image de George Floyd ou de l'infirmière Breonna Taylor, tuée chez elle par des policiers du Kentucky, mais ette discrimination n’épargne personne. Pas même Miles Davis qui, un soir d’août 1959, quelques minutes avant de se produire sur la scène du Birdland à New York, se fait tabasser par un policier qui, ne sachant pas qui il est et refusant de voir des noirs trainer devant la salle de concert, passe le musicien à tabac et finit par l'emmener au poste... Miles venait simplement de déposer son amie, « une jolie fille blanche nommée Judy ».
Dans son autobiographie, le jazzman est longuement revenu sur cet évènement. « Au commissariat, ils me disent : “Alors, c'est toi le sage, hein ?” ? Et puis se collent contre moi, vous savez, pour essayer de m'énerver, pour pouvoir probablement me frapper encore une fois à la tête. Je suis juste assis là, à tout encaisser, à observer chacun de leurs mouvements […].
Je me serais attendu à ce genre de conneries sur les arrestations et tout ça à East St Louis, mais pas ici, à New York, qui est censée être la ville la plus lisse et la plus branchée du monde. Mais là encore, j'étais entouré de Blancs et j'ai appris que lorsque cela arrive, si vous êtes noir, il n'y a pas de justice, aucune. » La preuve : dans les années 1980, malgré le succès, la reconnaissance publique et son influence, Miles Davis racontait qu’il était encore fréquemment contrôlé lorsqu’il se déplaçait au volant de sa Ferrari…
Il faudra presque trois décennies à Miles Davis pour digérer pleinement cette incompréhensible soirée, et consacrer un album aux bavures policières, très justement nommé « You're Under Arrest » (« Vous êtes en état d'arrestation », en VF), illustré par une pochette où il arbore fièrement une mitraillette et pensé comme un hommage « aux gens qui se faisaient boucler, politiquement, pour être descendus dans la rue ».
On y entend des sons de flamme, les cris plaintifs d'un nouveau-né, les larmes d'une personne ayant survécu à l'explosion d'une bombe, Sting interpréter un policier français, une reprise de Time After Time de Cyndie Lauper et une volonté de questionner le comportement de l'humain. Human Nature est d'ailleurs le titre d'un des morceaux phares de ce 55ème album : une relecture jazz fusion du célèbre tube de Michael Jackson, certes, mais surtout une plongée dans les zones obsures de la nature humaine.