Flashback : il y a 15 ans, Orelsan explosait avec un titre trash sur la Saint Valentin

La célèbre fête (commerciale) des amoureux permet de mesurer le chemin parcouru par Orelsan. Bien avant de connaître une nouvelle consécration aux Victoires de la Musique, il vivait son premier succès avec ce morceau inspiré de la fête des amoureux, à la fois trash, polémique et d’un mauvais goût assumé jusqu’au bout.
  • C'est un fait; Orelsan fait désormais partie des poids lourds de l’industrie musicale. Plus que la qualité de ses disques, c’est bien sa force fédératrice qui impressionne. Il l’a encore confirmé en remportant trois Victoires de la Musique vendredi dernier, celle d’artiste masculin, mais également deux récompenses du public, pour la chanson L’Odeur de l’essence, et le documentaire « Montre ça à personne ». Il y a quinze ans, en revanche, le mois de février avait une toute autre signification pour le caennais. C’est en effet en 2007 qu’il connaissait son premier succès, celui par qui tout a commencé : Saint Valentin.

    Preuve qu’il est issu d’une autre époque : le titre avait cartonné sur MySpace. Déjà accompagné de Skread et Gringe, Orel y joue à fond l’anti-romantisme, quitte à aller fort dans la provocation. « J'te l'dis gentiment : j'suis pas là pour faire de sentiments » « J'crache dans ta femme enceinte et j'te fais un bébé nageur », « J'te tèj' la veille, et j'te rebaise le lendemain / Suce ma bite pour la Saint-Valentin » Un défouloir misogyne (pourtant presque soft par rapport aux Rolling Stones) où la parodie est évidente. « Quitte à abuser le truc, autant partir dans du lourd » se justifiait le musicien. Et il a su faire réagir. Positivement d’abord, si ce n’est pour une des figurantes du clip, jeune professeur de collège, qui a été forcée de démissionner après que des parents l’aient reconnus. Cela ne freine pas le succès du clip, réunissant les premiers fans du jeune rappeur.

    Le morceau avait eu le temps d’être rodé. Un an avant sa publication, Orelsan le jouait déjà dans des fêtes en Floride, où lui et Gringe ont passé une année entière. Ce dernier raconte : « À une soirée, il y a des mecs qui ont des platines et ça rappe un peu et Orel’ balance un bout de “Saint-Valentin”. Et tout le monde se mange une tarte parce que personne n’a entendu ça avant. » En 2009, Orel confirme : « J’avais plein de potes qui aimaient bien le morceau, il me disaient : "C’est un hymne ton truc !" ». Mais plus que sur le travail du texte, c’est dans sa communication qu’Orelsan est en avance sur son temps, devenant l’un des premiers artistes à percer grâce aux réseaux sociaux.

    Sur la base de ce succès, le rappeur transforme l’essai deux ans plus tard avec son premier album, « Perdu D’Avance ». Il attire alors bien plus l’attention, notamment de la part d’associations féministes. Celles-ci lui reprochent la violence de ses premiers morceaux, l’accusant notamment de justifier les violences conjugales. Si le morceau Sale Pute est au cœur des accusations, c’est bien Saint Valentin qui contient la phrase la plus problématique, avec une référence au féminicide de Marie Trintignant par Bertrand Cantat, survenu à peine quatre ans avant la sortie de la chanson. L’affaire se finira devant les tribunaux, et ce n’est qu’en 2016 que le rappeur sera définitivement acquitté. En 2018, la chanson suscitait encore le débat, notamment via une pétition pour annuler les nominations de l’artiste aux Victoires de la Musique.

    Que l’on juge acceptable ou non la provocation du jeune rappeur, on ne peut que se réjouir qu’il soit passé à autre chose. Bien loin de faire de la misogynie son seul fond de commerce, Orelsan a su passer d’un sale gosse cherchant à impressionner ses semblables à un artiste complet, capable de traduire la perte de repères de la classe moyenne blanche. Saint Valentin est ainsi le vestige d’une époque révolue, tant pour le musicien que le rap francophone en général. Celle où ce dernier était encore marginal et pas encore pris au sérieux. Y compris par les rappeurs eux-mêmes.

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