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On ne connaît pas encore le nombre de cassettes écoulées en 2022, mais tout porte à croire que le total de 2021 sera largement dépassé. Cette année-là, les ventes ont doublé aux Etats-Unis, passant de 173 000 exemplaires en 2020 à 343 000 selon le très fiable institut Luminate Data, qui fournit les chiffres officiels des charts Billboard.
L’an dernier, Luminate dénombrait déjà 306 384 cassettes vendues au 23 octobre, soit avant la période faste de Noël. Du côté du Royaume-Uni, les ventes de cassettes ont augmenté pour la neuvième année consécutive en 2021, avec près de 200 000 ventes, en hausse de 20% par rapport à 2020, pour le niveau le plus élevé depuis 2003.
Bref, il ne faut pas être grand médium pour comprendre que cette tendance est là pour durer et que les chiffres vont continuer de grimper. Et même si la cassette audio reste une niche par rapport au streaming, au vinyle et même au CD, elle est désormais prise au sérieux par l’ensemble de l’industrie musicale.
2022 a ainsi marqué le grand retour de la major Universal dans la fabrication de cassettes, afin de rééditer des compilations de grands classiques du répertoire français. Et lorsque les majors se remettent à exploiter un format, c’est généralement un signe – demandez au marché du vinyle comment il a été bouleversé par leur retour il y a une bonne dizaine d’années.
À l’international, cela fait déjà quelques temps que les artistes les plus populaires vendent des cassettes. On peut citer Taylor Swift, Harry Styles, Dua Lipa, Selena Gomez, Billie Eilish, The Weeknd ou encore Lady Gaga, Eminem et Justin Bieber, dont les cassettes dont d’ailleurs souvent au moins deux fois plus chères que la normale (16-20 dollars contre 8-10). Un comble pour un support justement prisé des artistes indépendants pour son faible coût de fabrication.
À l’origine, ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont maintenu en vie ce format ces dernières années, car la cassette présente un autre énorme avantage : elle peut être produite très rapidement (deux semaines). Un argument qui pèse de plus en plus face au très convoité format vinyle que les petits artistes ne peuvent plus exploiter à moins d’accepter des délais de fabrication interminables, en raison de la saturation des usines par les commandes massives et forcément prioritaires des majors pour Taylor Swift ou Adele.
Face à cette flambée des coûts et des délais du vinyle, les autres supports physiques plus accessibles comme le CD et la cassette tirent donc les marrons du feu en misant sur le même ressort nostalgique à l’ère du streaming tout-puissant. Car on le sait, les jeunes fans des artistes cités plus haut n’hésitent pas à dépenser des sommes parfois importantes pour tenir un album physique entre les mains voire collectionner comme des souvenirs ou des produits dérivés tous les formats – parfois dans plusieurs couleurs collectors – mis en vente par leurs idoles, même s’ils n’étaient pas nés quand la cassette et le CD dominaient le marché de la musique.
Toujours grâce à l’institut Luminate, on apprend ainsi qu’un tiers des acheteurs de cassettes font partie de la Gen Z. Quant à leurs ancêtres les Millennials, ils ont 42% de chances de plus d’acheter des cassettes que les autres générations.
La nostalgie des années 1980 y est évidemment pour beaucoup aussi, alimentée depuis des années par Les Gardiens de la Galaxie (Marvel) et surtout Stranger Things, qui a incontestablement joué un rôle central dans le retour au premier plan de la cassette, outre la popularisation de vieux morceaux auprès du jeune public. Mise en ligne l’an dernier sur Netflix, la quatrième saison de la série a ainsi encore généreusement mis en valeur le Walkman de Max.
Et en parlant de Walkman, on note également une multiplication des modèles mis en vente. La startup française We Are Rewind, qui a conçu un baladeur cassette design et rétro mais aux fonctions modernes, a ainsi imaginé pour le constructeur automobile Renault une version « R5 » de son appareil pour accompagner le retour de ce véhicule mythique, autre emblème des années 1980.
Quant aux cassettes, les usines qui les fabriquent sont au nombre de deux dans le monde, et il y en a une située en France. Il s’agit de RTM, qui déclarait en avril dernier produire 30 à 40 000 cassettes par mois contre 10 à 15 000 deux ans plus tôt. Le chiffre d’affaires a donc doublé, et il devrait encore être multiplié par deux cette année.
Il reste à espérer que l’histoire du vinyle ne se répètera pas, et que la cassette restera accessible à toutes les bourses et à tous les artistes. Car tant que l’économie du streaming leur sera défavorable, les plus confidentiels d’entre eux continueront de compter sur la cassette comme support physique principal pour vendre leur musique sur Bandcamp ou un stand de merchandising.
Mais les prix pratiqués pour les cassettes de Gainsbourg et compagnie ont de quoi inquiéter : réputées pour leur coût de fabrication ridicule qui permet aujourd’hui d’espérer des marges colossales – contrairement au vinyle – les cassettes risquent elles aussi d’être victimes de leur succès.
En attendant, il est encore temps pour vous d’enregistrer des compilations à la main avec un son horrible, car c’est aussi ça, le charme de la cassette audio.