Mark Ronson, le producteur qu’on adore détester

  • L’Anglais exilé à New York a toutes les qualités : beauté, argent, carnet d’adresses, talent… Et plutôt que de dilapider l’héritage familial, il a décidé de produire parmi les plus grands disques pop des dix dernières années. Amy Winehouse, Adele, Lily Allen et Gaga peuvent lui dire merci.
    mark ronson

    L’histoire nous l’enseigne à chaque décennie. Dans le milieu de la musique, il faut se méfier des beaux garçons, plus encore que dans le reste de l’humanité : Elvis radieux comme un apôtre descendu de la fresque d’une église de Memphis, Jim Morrison shaman fascinant au-delà de la mort, David Bowie parangon de sophistication troublante, Prince vipère érotique d’1m58, George Michael tout droit sorti d’un shooting de mode ou, plus près de nous, Justin Timberlake, boy next door dansant aussi bien qu’il sourit… À chaque fois, la forme rejoint le fond. C’est pourquoi, quand le sujet Mark Ronson se présente à nous, nous le prenons avec des pincettes. Si personne n’arrive à citer le nom de ses quatre albums solos et s’il accumule tous les défauts susceptibles de le rendre insupportable aux yeux des simples mortels, l’Anglais façonne depuis quinze ans la (bonne) musique qui nous entoure. Voilà pourquoi, en huit points.

    Mark Ronson est plus que bien né

    Son père aurait pu se contenter d’une carrière d’entrepreneur millionnaire mais il a tout abandonné pour manager le groupe Bucks Fizz, copycat de Abba et vainqueur de l’Eurovision 1981, ainsi que le groupe de soul, Roachford. De son côté, sa mère s’est remariée avec Mick Jones, le guitarisfte de Foreigner, avant de reloger la famille recomposée dans l’Upper West Side à New York. Un environnement qui lui permet d’avoir Sean Lennon comme pote, Rashida, la fille de Quincy Jones, comme premier amour, David Bowie et Mick Jagger de passage dans les soirées organisées par sa mère, Michael Jackson comme invité à la maison et Robin Williams qui le borde (c’est mieux que l’inverse). En d’autres termes, Mark Ronson n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche mais avec une guitare Fender en or dans la gueule.

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    Comme tout le monde, Mark Ronson a été DJ

    Être DJ à New York dans les années 1990, c’est être cool mais également affronter une concurrence acharnée dans les clubs de poche du Lower East Side. Ronson démarre en jouant dans les soirées hip-hop où, assure-t-il, « tout le monde se foutait de ma famille et de mes relations. Et surtout, personne ne savait qui étaient ces gens. » La preuve, il commence avec un cachet de 50 $ par mix où il brasse large, funk et rock compris. La formule prend, il se fait remarquer et devient hype au point de jouer lors du mariage de Tom Cruise et Katie Holmes, où, trop bourré, il passe un prophétique You’ve lost that loving feeling des Righteous Brothers avant de vomir en sortant de scène.

    Mark Ronson commence par se planter

    Repéré pour son oreille et sa faculté à jouer de plusieurs instruments, il commence par produire des débutants : le groupe de rap The High & Mighty ; un certain Jimmy Fallon qui, avec l’album « The Bathroom Wall » mêlant chansons et numéros de stand-up, n’est pas en 2002 le roi de l’entertainment qu’il est devenu aujourd’hui ; l’artiste américano-japonaise Nikka Costa ; puis Sean Paul, poids lourd du dancehall, dont le deuxième album « Dutty Rock » s’écoule à 8 millions d’exemplaires. Ronson peut alors lancer sa carrière solo avec le disque « Here comes the Fuzz » qui, malgré de bonnes critiques et de gros invités (Jack White, Mos Def, Nate Dogg, Q-Tip…), ne rentre pas dans les tops 50 US et anglais. Deux semaines après la sortie, Elektra Records le vire.

    Il n’est jamais meilleur que dans l’ombre

    Bien qu’il ait joué le mannequin pour des pubs Tommy Hilfiger et qu’il soit suffisamment classe pour être élu homme le plus stylé par le GQ anglais, on le préfère derrière une vitre, un casque sur la tête. C’est ainsi qu’il a produit des personnalités aussi difficiles que Ol’ Dirty Bastard et Macy Gray avant de casser la baraque avec une gamine, Lily Allen, dont le premier disque « Alright, Still » accumule les hits. Mark est pop au sens où il a digéré tous les styles musicaux depuis les années 1950. Il peut ainsi produire des sonorités sixties, du ska, du R’n’B sirupeux avec Estelle, du rap qui tâche en compagnie de Nas ou d’Action Bronson, le rock des Black Lips ou la soupe de Robbie Williams. À chaque fois, il est crédible et le plus souvent, bon.

    Un homme à femmes

    Comme Benjamin Biolay et Serge Gainsbourg, Mark Ronson excelle dans la composition et la production pour les chanteuses. C’est pourquoi il est déjà présent lors de la fabrication du premier album d’Adele, « 19 », lors de la relance de la carrière de Christina Aguilera, de la mise en orbite des phénomènes Lily Allen et Amy Winehouse et la sortie du dernier Lady Gaga. Il ne s’agit pas seulement de leur écrire des tubes, mais de savoir les écouter et d’apporter un son, une gangue où leur idiosyncrasie peut s’exprimer. Ce qui n’empêche pas Mark de faire tomber les jolies filles dont l’actrice française Joséphine de la Baume devenue son épouse.

    Il a laissé un chef-d’œuvre derrière lui

    Si on devait ne retenir qu’un album pour expliquer ce qu’est le travail de producteur, ce serait sans doute « Back to Black » d’Amy Winehouse. Où comment prendre une chanteuse de R’n’B et de jazz ayant échoué avec son disque précédent, « Frank », sa tentative de crossover, et la faire revenir à l’essentiel : un chant à déchirer l’âme tout en tissant autour des arrangements aussi sophistiqués que ceux entendus chez les Shangri-las. Résultat : 11 titres, quasiment autant de hits. Et un fardeau trop lourd à porter pour la fragilité de son interprète. Il est toujours plus prudent de rester de l’autre côté de la vitre du studio.

    Son nom est personne

    À être trop versatile, Mark Ronson prend le risque de manquer d’incarnation. Ainsi, à l’écoute de ses albums solo, l’auditeur distingue la qualité du son et de la prod mais ne retient pas grand chose. Ce que Geoff Barrow, le taulier de Portishead a résumé ainsi : « Some shit funky supermarket muzak. » Les rares hits de ses albums solos sont des reprises mises dans la bouche d’autres, notamment le Toxic de Britney avec Ol’ Dirty Bastard, ou mettent en valeur leurs interprètes, Bruno Mars notamment, dont le survitaminé Uptown Funk a décroché la timbale l’année dernière. Lui-même est conscient de ses limites : « J’ai été invité à un énorme mariage dans le sud de la France, Elton John, Mariah Carey et Calvin Harris chantaient sur scène, raconte-t-il au Guardian. Et moi je passais des disques dans le lobby… Ce qui me va très bien. »

    Il est sincère

    Il est facile de retenir de lui les moments où il interrompt ses interviews parce que Jay-Z l’appelle sur son portable. Pour notre part, on préfère s’attarder sur le fait que dans chacun de ses disques solo, il tente de promouvoir des jeunes talents (Kenna, Daniel Merriweather, Rose Elinor Dougall, Kyle Falconer…) ou sur sa façon de pousser le professionnalisme lorsqu’il cherche une voix à faire la tournée des églises du sud des États-Unis. Et là, le producteur constate, amusé : « J’ai rencontré plein de chanteuses mettant à l’amende n’importe quelle star du top 10. Mais quand je leur demandais : ‘Vous pourriez venir enregistrer un titre en studio à L.A. ?’ Elles répondaient : ‘Je peux pas, j’ai la chorale le mardi et le jeudi, l’église le dimanche.’ En fait, chanter de la pop ou du Beyoncé, pour elles, n’a pas l’intensité de chanter Dieu. Ça fait du bien à l’époque où tout le monde chante d’abord pour devenir célèbre. » Venant de la part d’un wannabe, il n’y a pas de plus beau compliment.

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