Mais pourquoi les rappeurs portent-ils tous des cagoules ?

Michaël Youn a-t-il été un précurseur ? Plus de dix ans après le Fous Ta Cagoule de Fatal Bazooka, plusieurs de ses collègues semblent l’avoir pris au mot. Si le phénomène des rappeurs masqués ou anonymes n’est pas nouveau (MF Doom, Népal, ou encore Fuzati et même Rockin’ Squat d’Assassin), la cagoule semble être devenu un accoutrement de choix. Mais pourquoi cet accessoire de ski, dont on laisse à chacun juger de l’élégance ?

Pour GQ, l'une des principales raisons tient à l’émergence de la drill, particulièrement son versant britannique. Des MC comme K-Trap, SR, LD ou M Huncho, qui ont popularisé le genre outre-Manche tout au long des années 2010, arborent tous à un moment ou un autre une cagoule pour masquer leur visage. Une manière de prolonger l’univers sulfureux du genre. Car la drill est connue pour son style plus violent, et ses paroles glorifiant les modes de vie dangereux. Ainsi, la cagoule renvoie directement à l’univers des gangsters, tout en permettant d’alimenter le storytelling : si ces rappeurs sont masqués, c’est parce qu’ils ne doivent pas être identifiés, en raison de leurs activités criminelles supposées. Comme l’expose GQ, c’est « une façon de protéger leur vie personnelle de leur carrière artistique, dans un pays qui surveille et punit les hommes noirs à un taux disproportionné. »

Ceci posé, la cagoule permet plus simplement une libération de la parole. Sous anonymat, on peut plus facilement se lâcher. C’est également un moyen de bien séparer la vie artistique de la vie privée, comme pour le Suisse Empty7. Professeur en université, le musicien n’a sans doute pas envie que ses élèves et collègues viennent l’interroger sur les failles qu’il expose dans ses textes. Pour Kalash Criminel, il s’agit également de se cacher. Dans certaines interviews, c’était pour se cacher de sa mère, qu’il avait peur de décevoir. Mais pour Skyrock, il expliquait surtout avoir peur des moqueries sur sa couleur de cheveux : en tant qu’albinos, le musicien d’origine congolaise a une pilosité tirant sur le roux. Les cacher lui permet de recentrer l’attention sur l’essentiel : son flow. Mais alors pourquoi une cagoule plutôt qu’un masque ? Car c’est ce qui traînait là à ce moment là. Pas besoin de trop chercher.

Face à l’émergence de ce style, il devient naturel de le porter dans un geste purement esthétique. C’est le cas pour RMR (prononcé « rumor »), qui laisse seulement transparaître ses dents en or à travers le tissu. Pleine d’autodérision, sa musique country trap se situe à la frontière de la parodie, se moquant des codes gangsta tout en se les appropriant. Mais bien sûr, c’est Kanye West qui en fait définitivement un outil artistique, depuis la sortie de Donda.

Certes, comme le suppose GQ, le candidat malheureux à la présidentielle pourrait tout simplement chercher à fuir la surmédiatisation. Mais on sait qu’avec lui, rien n’est dû au hasard. En cherchant à retourner à l’anonymat, Ye semble vouloir se démarquer de toutes les polémiques pour, lui aussi, ramener l’attention sur sa proposition artistique. La cagoule vient alors à la fois attirer l’attention sur le rappeur, mais la détourne de ce qui le dérange. On comprend alors l’étonnant parcours de ce vêtement, à la fois protecteur de la vie privée, mais également outil convoquant directement un univers violent et atypique. De quoi en faire l’accessoire phare de l’hiver 2022 ?