2022 M01 25
On l'aurait presque oublié. Le 17 janvier, la productrice péruvienne Sofia Kourtesis publiait le morceau Estacion Esperanza, où figure une voix familière : celle de Manu Chao, via un sample de son fameux refrain "Qué hora son mi corazon". De quoi rappeler que le chanteur franco-espagnol s'est fait plutôt discret ces derniers temps. Après l’énorme succès de la Mano Negra entre 1987 et 1994, puis la renaissance en solo après une période difficile, Manu Chao semblait destiné à devenir l’un de ces poids lourds de l’industrie du disque.
À la manière d’Indochine ou Mylène Farmer, il aurait pu organiser des projets de grande ampleur, faire de chaque album un événement. Mais il a choisi une voie radicalement différente. Après les succès de « Clandestino » puis « Proxima Estacion : Esperanza », il refuse de renouveler son contrat avec Universal en 2003. Il publie alors deux autres albums via sa propre société, Radio Bemba, du nom de son groupe. Puis en 2009 sort un album live, enregistré à Bayonne, qui est, à ce jour, le dernier disque qu’il ait publié.
Mais qu’a donc pu faire Manu Chao depuis bientôt 13 ans ? Difficile de dire qu’il est resté inactif. Durant les années 2010, il monte un nouveau groupe pour l’accompagner, La Ventura, avec moins de musiciens. Avec eux, il se concentre avant tout sur ses tournées, qu’il enchaîne sans relâche, dans des lieux en accord avec ses convictions altermondialistes. Il parvient même à être l’un des artistes les plus programmés en festival en 2017. Mais le musicien ne croit plus au format album. Dès 2009, il explique : « Je n'arrêterai pas la musique, mais, vue l'évolution technologique, peut-être que, par la suite, dès que j'aurai une nouvelle chanson, je la mettrai en ligne. J'utiliserai mon site Internet comme une station de radio. » En 2015, en amont d’un passage à la Fête de l’Humanité, il maintient sa position : le format album, « c’est un vieux concept ça ! Le nouveau répertoire, on le fait vivre sur scène. Tous les jours, je chante sur un bout de trottoir, chez les gens, dans les bars. »
Le musicien connaît néanmoins une période de pause créative, essentiellement entre 2013 et 2016. Cette année le voit revenir comme producteur pour la chanteuse Calypso Rose, alors âgée de 76 ans et reine du calypso en Trinité-et-Tobago. On reconnaît partout sa patte sur ce disque, « Far From Home » où il réalise également quelques duos. L’album devient l’un des plus grands succès de la chanteuse, et remporte même une Victoire de la Musique. La collaboration entre les deux artistes se poursuit en 2019, où ils publient une reprise du morceau Clandestino.
Ce projet semble avoir été un nouveau départ pour Manu Chao, qui publie régulièrement de nouveaux titres à partir de 2017, et publie depuis plusieurs titres par an. Chaque fois, il se passe totalement de label et se contente de proposer le morceau en téléchargement libre sur son site web. Il s’adonne ainsi à de multiples collaborations, comme avec sa compagne Klelia Renesi, avec qui il forme le groupe Ti.po.ta. Il travaille également avec des artistes de reggae de Barcelone, où il réside désormais. On le voit ainsi aux côtés de Dani Lança, et surtout Chalart58, co-auteur de très nombreux titres.
Le confinement a également fourni l’occasion de faire vivre sa chaîne YouTube, avec une publication quasi quotidienne de vidéos en mars et avril 2020. Le rythme se poursuit, avec une série de vidéos baptisées Coronacactus, où Manu Chao joue partout où il passe, et avec de nombreuses personnes, dont son fils Kira. Et il ne faiblit pas : en janvier 2022, il publie quasiment un moment musical par jour, que ce soit une reprise ou une improvisation.
Celui dont même Barack Obama est officiellement fan reste donc toujours actif. Mais on ne peut pas dire qu’il prennent beaucoup de risques. Musicalement, ses nouveaux morceaux ne renouvellent pas tellement la formule de « Clandestino », si ce n’est une tendance reggae de plus en plus marquée. Sur le fond, l’engagement du chanteur ne faiblit pas non plus. Avec des titres comme Salary Man, ou Free The People, ses valeurs altermondialistes restent au coeur de son propos. Ainsi, bien qu’il ait refusé de prendre la voie très rentable d’autres gros vendeurs de la musique (et c’est tout à son honneur), Manu Chao semble au final avoir une carrière similaire. Celle d’un chanteur qui capitalise sur ses anciens succès, et ne veut plus se mettre la pression. Le plus drôle étant que sans le savoir, il aura ouvert la voie à des artistes venus d'horizons très différents, de Zaz à Damon Albarn.