2021 M02 17
Sa carrière semble sans fin. Alors qu’elle n’a pas sorti d’album depuis 2018, Mylène Farmer peut encore compter sur sa communauté d’une fidélité hors norme. Son année 2020 a pourtant été plutôt calme : pas de tournée, forcément, presque aucune intervention publique, si ce n’est un documentaire diffusé pendant l’été sur Amazon Prime. Et pour Noël, un nouveau best-of, « Histoires De », triple disque couvrant toute la carrière de la franco-québécoise. Et au final, il n’a fallu qu’un peu plus de deux mois pour que 100 000 unités en soient vendus, et donc obtenir une certification « disque de platine ».
C’est comme cela que fonctionne sa carrière : peu d’apparitions médiatiques, aucune présence directe sur les réseaux sociaux, même pas de site officiel. Et pourtant, un succès qui donne le vertige. Car la rousse multiplie les records. Elle est la chanteuse française ayant vendu le plus de disques depuis les années 1980 (30 millions), et qui a classé le plus de titres en tête des ventes (21 chansons). C’est également elle qui possède le plus de disques ayant obtenu une certification « disque de diamant », avec sept réalisations. C’est plus que Johnny Hallyday, Francis Cabrel ou Céline Dion, qui n’en ont que six chacun. Et elle continue de peser aujourd’hui : comme le rappelait son manager Pascal Nègre en janvier 2020, elle a représenté à elle seule « autour de 1% du marché de la musique enregistrée en France » en 2018 comme en 2019.
De quoi s’interroger sur les raisons d’une telle réussite. Cela tient essentiellement à un travail marketing qui aurait de quoi rendre jaloux les Daft Punk et PNL. Pour commencer, Farmer a, dès qu’elle l’a pu, travailler sur la rareté. Tant qu’il n’y a pas de promotion à faire, on ne la verra nulle part, ou presque. De quoi créer une aura de mystère, qui, on le sait, a toujours suscité une certaine fascination, et donc une adhésion plus forte.
L'idée a d'ailleurs fait ses preuves bien au-delà de la musique : en 2011, le spécialiste du marketing Thierry Spencer comparait la stratégie de la chanteuse avec celle de Steve Jobs pour Apple. Comme la marque de la pomme, Mylène Farmer a méticuleusement travaillé son identité, avec son personnage flamboyant devenu une icône gay ; elle a opéré des choix tranchés, et cultivé le secret, et donc le désir ; et enfin, elle contrebalance cette relative rareté par un travail sur la qualité. Il s’agit de concentrer tous ses efforts au bon endroit. Cela passe par des clips aux budgets de plusieurs centaines de milliers d’euros, ou une tournée de 2013 coûtant plus de 30 millions d’euros.
Surtout, la chanteuse s’implique dans tous les détails de sa communication, validant chaque élément de décor, chaque costume, chaque élément de merchandising. Un travail différanciant, qui lui permet, comme Apple, de faire payer un prix plus élevé pour chaque produit. Tous ces choix, par ailleurs, sont en accord avec sa personnalité. Sa rareté lui vient tout autant de sa timidité maladive, tandis que son implication dans chaque décor rassure également son côté perfectionniste.
C’est là tout le secret de Mylène Farmer : s'adresser quasi uniquement à une base de fans extrêmement impliqués. Si on la voit peu sur les réseaux traditionnels, elle possède le sien, qui lui suffit largement. Une stratégie aux antipodes des pratiques actuelles, basées sur une présence quasi-continue. Elle bénéficie pourtant d'une force de frappe énorme, qui lui permet également d’imposer ses conditions à l’industrie. En 2017, alors que son contrat avec Universal arrive à terme, elle choisit d'aller chez le concurrent Sony. Mais au passage, elle passe d’un contrat d’édition à un simple contrat de distribution. Autrement dit, la chanteuse gère la totalité de sa musique, ce qui lui permet de générer bien plus de revenus, mais surtout de garder un contrôle total et sans partage sur sa production future.
Ainsi, bien plus qu’une musicienne, Mylène Farmer est également une redoutable femme d’affaire, à l’image de Madonna ou Lady Gaga, mais sans équivalent en France. Elle a su mener sa carrière avec une maîtrise qui force le respect. Et ce sans jamais briser son personnage, ni renouveler de fond en comble son style musical, à l’exception des liftings nécessaires pour rester d’actualité. Car au fond, à quoi bon changer une recette qui marche ?