2021 M05 31
Il a fallu batailler. Après beaucoup d’efforts, le Prodiss, syndicat du spectacle privé, a enfin réussi à organiser son concert-test. Si l'on peut douter de sa pertinence, désormais, après plusieurs expériences concluantes dans le reste de l’Europe, les organisateurs assurent que ce test va plus loin, notamment avec la présence d’un groupe contrôle. En effet, en plus des 5000 spectateurs, 2500 personnes restées chez elles ont également été testées, afin d’assurer que la contamination n’est pas plus importante en concert.
En attendant les résultats, prévus pour fin juin, on peut dresser un autre constat. En effet, il semble que la présence d’Indochine en tête d’affiche ait débloqué la situation. Le groupe de Nicolas Sirkis possède une qualité fédératrice à même de convaincre les politiques de la viabilité du projet. Plus encore, selon le site Les Jours, c’est un appel entre Sirkis et Brigitte Macron qui a permis de sceller le sort du concert. Mais comment ce groupe, souvent raillé depuis ses débuts, a-t-il su devenir aussi incontournable ?
Le voilà le premier concert à l'Accor Arena après plus d'un an d'arrêt ! #ConcertTest #Indochine pic.twitter.com/6QYx897hFw
— Clément Vaillant (@cvaillant1) May 29, 2021
Il faut déjà remarquer que le succès du groupe a été immédiat. Le groupe s’est formé en 1981 (ils devaient d’ailleurs célébrer leurs 40 ans en grande pompe, avec une énorme tournée et un Stade de France, repoussé par la pandémie), autour de Nicolas Sirkis, son frère Stéphane, ainsi que le guitariste Dominique Nicolas et le claviriste Dimitri Bodianski. Dès l’année suivante, leur premier disque, « L’Aventurier », connaît un énorme succès, porté par le morceau du même nom. Avec leur new wave tout droit inspirée de Cure, et des paroles intimes référençant Marguerite Duras, la formation se taille une place royale. En 1985, le disque « 3 » leur assure une consécration, contenant plusieurs classiques du groupe : Canary Bay, Trois Nuits Par Semaine, Tes Yeux Noirs ou encore 3è Sexe. Il marque également les premiers succès internationaux d’Indochine.
Cependant, cette première apogée est aussi le début du déclin. Dès le disque suivant, les critiques se font plus acerbes, bien que le public réponde toujours présent. Mais à partir des années 90, les ventes s’étiolent progressivement. Bodianski quitte le groupe en 1989, suivi de Dominique Nicolas, compositeur de la plupart des titres, en 1994. Plus personne ne croit en Indochine : leur new wave très datée sonne totalement dépassée en cette période grunge et techno. Sans compter les paroles plutôt naïves, incompatibles avec cette période sombre et ironique.
Ainsi, leur maison de disques les lâche en en 1997. Mais le point le plus bas semble atteint en 1999 lorsque Stéphane, miné par les excès, meurt brutalement au début de l’enregistrement de l’album « Dancéteria ». Pourtant, Nicolas ne se laisse pas abattre, et ce disque marque un nouveau départ. Même durant les pires moments, il a pu compter sur un public toujours présent durant les concerts.
Mais la renaissance arrive véritablement en 2002, avec l’album « Paradize ». Et surtout son tube J’ai demandé à la Lune, deuxième véritable classique du groupe après L’Aventurier, et composé par Mickaël Furon de Mickey 3D. Le disque marque aussi les débuts du nouveau guitariste et compositeur Olivier Gérard. Grand fan de Nine Inch Nails et Marilyn Manson, il apporte un son musclé et saturé au disque, en phase avec son époque. De plus, en ce début de mouvement emo, les paroles intimistes et gradiloquentes de Sirkis sont bien plus d’actualité. Le chanteur se met à la page en évoquant également le malaise adolescent et l’acceptation des autres. Le jeune public trouve ainsi un allié dans ce chanteur pourtant déjà quadragénaire.
Depuis, le succès du groupe n’a cessé de se confirmer. Certes, le succès monumental de « Paradize » n’a jamais été renouvelé. Mais Sirkis semble avoir appris des erreurs passées. Il ne loupe plus aucune mode, collaborant en 2005 avec Brian Molko de Placebo, ou en 2017 avec le rappeur Kiddy Smile. S’adaptant aux tendances, Sirkis s’est fait hérault des emos, et aujourd’hui ambassadeur de l’inclusivité. Surtout, le groupe connaît son dernier grand virage en 2009, alors qu’ils remplissent le Stade de France. Ce jour là, ils basculent parmi les intouchables de l’industrie du disque. Un virage qui se confirme également du côté musical, les guitares saturées laissant progressivement place à une pop de stade plus lissée.
Pour autant, le groupe garde toujours cette même identité, incarnée par l’éternel adolescent Sirkis. À la manière de Mylène Farmer, le groupe a tissé un lien fort avec son public avec son univers érotique, touchant d’emblée l’intime de chacun. Tout se joue sur l’équilibre entre une musique très grandiloquente, facile d’accès, et des paroles s’adressant directement aux marginalisés. Sirkis livre ainsi des plaidoyers envers la communauté LGBT ou les enfants victimes de harcèlement scolaire (le clip de College Boy, signé Xavier Dolan en 2013, avait d’ailleurs fait polémique pour sa violence). En conséquence, ils ont bien plus qu’un public : voilà une communauté soudée et fidèle. Certes, on pourra leur reprocher de ne pas être très subtils dans leur approche, et les railleries sont toujours bien présentes. Il n’en reste pas moins qu’Indochine fait désormais partie des indéboulonnables de la musique française.