Comment Gojira a rendu le death metal mainstream

Gojira marche sur l’air. Le septième album du groupe basque, « Fortitude », sorti en avril 2021 s’était classé en deuxième place des ventes en France, mais surtout en numéro 1 aux États-Unis. Une performance extrêmement rare pour un groupe de metal, surtout français. Leur sanglante et très remarquée performance à la cérémonie d'ouverture des JO de Paris leur a offert une belle tribune. Mais lorsqu’on observe de plus près le parcours du groupe, on comprend que tout ceci n’est que justice.
  • Article rédigé et publié en mai 2021, mis à jour en juillet 2024 par la rédaction

    24 000 ventes « pures » (soit des ventes physiques) aux États-Unis, 10 000 équivalents ventes en France, tout cela en première semaine, avec un passage dans l’émission Quotidien et sur France Inter dans l’émission d’Augustin Trapenard. Pas de quoi détrôner Booba, mais combien de groupes français peuvent espérer réaliser cela ? On peut sûrement les compter sur les doigts d’une seule main. Et combien de groupes de metal français ? Là, c’est sûr, il n’y en a qu’un seul. C’est celui formé en 1996 par les frères Joe et Mario Duplantier : Gojira.

    La performance est d’autant plus forte que le groupe n’a jamais vraiment fait de concession. Leur premier album, en 2001, était enregistré dans leur propre studio, et publié par leurs propres moyens. Si le groupe est largement reconnu dans la scène metal depuis 2005 et l’album « From Mars To Sirius », les choses ne cessent d’accélérer depuis leur signature sur le label américain Roadrunner Records, filiale metal de Warner (Korn, Slipknot, Rob Zombie, Lamb Of God, Opeth, etc.). Après « L’Enfant Sauvage » en 2012, c’est surtout « Magma » en 2016, vendu à 300 000 exemplaires, qui a permis à la formation d’accéder à un large public et de remplir d’immenses salles. Pour l’anecdote, le groupe détient depuis 2012 le record du concert le plus fort jamais joué au Stade de France. Une performance révélatrice de l’anomalie qu’est le succès du groupe.

    Parce que celui-ci n’a jamais abandonné son approche très DIY, mais surtout officie dans un style assez agressif. Néanmoins, en y regardant de plus près, leur évolution musicale est une première raison de ce succès. Depuis ses débuts, le groupe ne joue pas le jeu des étiquettes, proposant une synthèse de plusieurs courants du metal : death metal, technical, trash, progressif… Si le néophyte ne retient que le terme générique de metal, le son du groupe joue sur plusieurs tableaux. Mais en résumé : ça joue très vite et très fort, avec une technicité redoutable et des constructions complexes, sans jamais totalement sacrifier un certain groove.

    Cependant, il faut reconnaître que le style du groupe s’adoucit. Leurs albums des années 2000 n’auraient jamais pu leur ouvrir leur succès actuel. Si certains fans déçus les accusent d’être devenus des vendus - ou pire, mainstream - l’évolution peut sembler naturelle. Comme l’explique le batteur Mario Duplantier à Oüi FM : « aujourd’hui, on a envie que Gojira corresponde un petit peu plus à notre identité. Donc, il y a du métal et de l’extrême, mais il y a aussi un aspect plus rock, plus mélodique. »

    En effet, depuis « Magma », album marqué par la mort de la mère des frères Duplantier, la production se fait plus sophistiquée, les morceaux moins axés sur la technique. Bref, les influences sont plus variées, allant au-delà du pur metal, offrant de nouveaux points d’accroche à l’auditeur qui ne connaît pas bien le domaine. La palette vocale de Joe Duplantier, en particulier, s’est élargie, offrant autant de chant clean que du guttural propre au death metal. Certes, certains albums divisent, mais le groupe n’a pour le moment connu aucun véritable échec.

    Un deuxième élément explique probablement cet énorme succès : le propos. Là encore, cet élément est constitutif du groupe depuis ses débuts. Déjà, « From Mars To Sirius » reposait sur plusieurs concepts mystiques, portés sur l’écologie et la spiritualité. Des thématiques qui rappellent bien plus les hippies que les métalleux. C’est justement en allant à l’opposé des clichés habituels que Gojira s’est taillé une réputation de groupe plus intello, mais surtout plus positif. Les paroles poétiques et l’activisme écologique (le groupe soutient ouvertement l’ONG Sea Shepherd, et le dernier album contient un titre contre la déforestation de l’Amazonie) sont autant de moyens de parler à un auditeur qui serait d’abord rebuté par ce genre de musique. La rage du metal possède ici une véritable incarnation, propre à parler à un auditeur révolté.

    Et ainsi, sans jamais transiger, Gojira est devenu l’un des groupes de metal les plus populaires au monde. Pour cela, il a fallu quitter une niche technique et agressive, mais le fan de la première heure peut encore les retrouver au détour d’un morceau. Avec une telle ascension linéaire et quasi sans faute, peut-être Gojira parviendra-t-il à enfin populariser un metal extrême au-delà de la sphère des initiés.