2021 M08 30
Pas facile de résumer en quelques lignes qui était Lee « Scratch » Perry, ni de mesurer son impact sur la musique. Mais il suffit d’aller faire un tour sur les réseaux sociaux ce dimanche 29 août, date de l’annonce de sa mort, pour se rendre compte que sa disparition est loin de passer inaperçue. Artistes, médias, producteurs : tous ont un souvenir, une chanson, une image de Lee « Scratch » Perry, baptisé le « Salvador Dali » de la musique par Keith Richards. Et pour cause : le Jamaïcain, né en 1936 dans le nord-ouest de l’île, a été avec Errol Thompson ou Osbourne « King Tubby » Ruddock l’un des pionniers du dub ( « un genre souvent aussi funky et fun qu'avant-gardiste et effrayant » dixit le journaliste britannique Steve Barker) et l'un des meilleurs promoteurs du reggae jamaïcain, enregistrant les albums phares d’artistes comme The Congos et Bob Marley & The Wailers. Réduire Lee à un vieux rasta niché dans l'ombre de son studio serait une grosse erreur.
Si à l’école, Lee n’excelle pas, il est doué pour un tas d’autres choses : les dominos, les rythmes (les fameux riddims), la production, la danse, la peinture, rouler des joints et capter l’esprit de la Jamaïque ainsi que la musique qui va en sortir, celle du ghetto et de la rue. Il fait ses gammes dans les années 50 au Studio One, qui appartient à une figure du pays à l’époque : Coxsone. Avec le producteur, Perry emmagasine tout ce qu’il peut durant ses missions, allant de DJ à vendeur en passant par technicien. Mais pour aller au bout de sa vision musical, et bousculer la vieille garde en place (Coxsone Dodd, Prince Buster ou Joe Gibbs), il fonde son propre label Upsetter Records et mise tout sur le reggae. Que ce soit ses propres morceaux (comme People Funny Boy en 1968) ou avec les Wailers, U Roy ou encore Dave Barker, Lee « Scratch » Perry impose sa patte et ouvre la voie à ce style musical, puis s'en va conquérir le monde.
La prochaine étape sera de construire son propre studio afin de poursuivre l’expérimentation sonique en cours, et la pousser dans ses retranchements. Chose faite en 1974 avec Black Ark, le nom donné à ce lieu atypique où la table de mixage devient un instrument, et où les effets comme l’echo et la reverb prennent une autre dimension. Perry s’amuse avec des drum machines, souffle la fumée de ses joints sur les masters pour faire du bien aux bandes et samples des bruits d’animaux ou de pistolets. Un génie ? Un fou ? Un alien ? Sûrement un peu des trois : « je vois le studio comme une chose vivante. La machine doit être vivante et intelligente. Ensuite, je mets mon esprit dans la machine et la machine réalise la réalité », expliquait le producteur. En réalité, il est difficile de cerner ses techniques de production. Déjà parce qu’il lui arrivait de découper et de recopier des pistes afin de gagner de la place (et donc perdre de la qualité sonore), mais aussi parce qu’il bidouillait les tracks avec une multitude d’effets, composant des couches de sons qu'il était le seul à savoir déchiffrer.
Que ce soit avec son collectif (The Upsetters) ou pour d’autres artistes (Max Romeo, Junior Murvin, The Heptones etc.), ses doigts « de fée » font des miracles. Entre ses mains le dub prend réellement de l’ampleur, le reggae connaît ses heures de gloire et Lee « Scratch » Perry, mi-sorcier mi-magicien, est au sommet de son art (écoutez la compilation « Arkology » pour s’en rendre compte). Perry s’envole alors pour Londres où les Clash ont besoin de lui. Il produit en 1977 le single Complete Control des punks. La même année, c’est Paul et Linda McCartney qui se rendent dans son studio pour y enregistrer deux morceaux (Perry écrira même au ministre de la justice japonais quand l’Anglais se fait prendre à la douane au Japon avec de la weed). En 1983, il fait brûler son studio, presque 10 ans après l’avoir construit. La raison ? Il est persuadé qu’il est possédé par des mauvais esprits.
Il prend alors la direction de l’Angleterre où il rencontre le producteur Adrian Sherwood (fondateur du label On U Sound Records) et continue son travail d’orfèvrerie pour des grands noms, allant de Moby au Beastie Boys en passant par The Orb. Il pose ensuite ses valises en Suisse avec sa deuxième femme mais le mot retraite ne fait pas partie de son vocabulaire. En 2019 il tournait encore avec Sherwood. « Sans la musique nous sommes tous morts ; avec la musique on est vivant. Il n’y a rien que la musique ne peut pas faire » avait déclaré Perry. Sa musique a en tout cas le pouvoir de le faire vivre à jamais.
Crédit photo : Dena Flows.