Les concerts sont-ils vraiment "safe" pour les femmes ?

A l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, il est temps de se demander si les fosses des salles de concerts sont réellement accueillantes pour elles. Et même si la réponse est encore loin d'être satisfaisante aujourd'hui, les initiatives se multiplient pour essayer de faire disparaître les comportements sexistes dans le secteur de la musique live.
  • Au début des années 1990, le mouvement féministe Riot Grrrl proclamait "Girls to the front!" et demandait aux mecs de laisser de l'espace aux filles dans la fosse des concerts de punk, pour que celles-ci puissent puisse prendre la place qui leur revient dans ces endroits traditionnellement dominés par les hommes. Plus de trois décennies plus tard, les choses ont-elles beaucoup évolué ?

    Pas tant que ça, si l'on se fie aux commentaires postés sur la page Facebook des Inrockuptibles, en réaction à un article expliquant que pour sa prochaine tournée, The Psychotic Monks a décidé d'écrire une sorte de code de bonne conduite à respecter dans ses concerts. Le groupe français y rappelle entre autres son refus de toutes les discriminations, l'importance du consentement, et plus généralement du respect vis-à-vis de tout le monde.

    Des valeurs qui devraient être largement partagées en 2023, mais qui déclenchent pourtant un torrent de réactions négatives, car grosso modo, ces règles seraient contraires à l'esprit punk et donc à la liberté de faire n'importe quoi aux dépens des autres.

    Le rappel des Psychotic Monks est donc malheureusement nécessaire, et force est de constater qu'aujourd'hui, les concerts restent souvent des endroits où les femmes se sentent moins bienvenues que les hommes.

    D'abord parce que dans un pays où l'écrasante majorité des artistes qui se produisent sur scène – voir la dernière publication du CNM à ce sujet – sont des hommes, on continue de penser plus ou moins implicitement que la musique reste l'apanage des mecs, tout comme on perpétue plus largement le mythe genré du génie masculin, pour mieux renvoyer les femmes à l'imagerie passive et peu enviable de la groupie à qui il faut forcément expliquer la musique.

    Les femmes se sentent donc généralement moins légitimes que les hommes pour jouer de la musique, mais aussi assister à des concerts, où les violences sexuelles et sexistes sont extrêmement répandues.

    Ces dernières années, plusieurs enquêtes comme celle de Mediapart sur la scène punk/hardcore/metal française ont en effet révélé l'ampleur des dégâts et confirmé que le milieu de la musique avait lui aussi besoin de son #MeToo pour faire sa révolution.

    Sur les réseaux sociaux, beaucoup des comptes répertorient les exemples de violences verbales et physiques (le défunt #MusicToo, Balance ta scène…), et même si certains collectifs travaillent sur ce sujet depuis longtemps, on note ces dernières années une explosion du nombre d'initiatives et de labels pour tenter de rendre la scène musicale moins hostile aux femmes.

    Pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, à savoir les concerts, on peut citer par exemple Safer, ACT RIGHT, Les Catherinettes ou encore Consentis. La plupart accompagnent les salles de concerts pour mettre en place des dispositifs de prévention et sensibiliser le public à la question des violences sexistes et sexuelles.

    Car la bonne tenue d'un concert repose avant tout sur l'équipe d'organisation et sur la salle qui l'héberge, avant les artistes qui doivent certes montrer l'exemple et dénoncer les comportements inappropriés quand ils en sont témoins.

    Reste que le public doit aussi se discipliner de lui-même, même pour les choses qui ne sont pas punies par la loi. Récemment, le collectif féministe Les Murènes s'est exprimé à juste titre contre le fléau des hommes qui se mettent torse nu dans la fosse des salles de concerts pendant les pogos, avec souvent comme excuse… qu'ils ont chaud. Une pratique qui peut sembler anodine mais qui en dit en réalité beaucoup sur la façon dont les hommes accaparent l'espace public et ces lieux en particulier.

    Les adeptes masculins du topless en concert ne se posent pas la question de savoir s'ils risquent de déranger les autres – femmes ou hommes compris – en les mettant en contact forcé avec leur torse dégoulinant de sueur, ils savent implicitement par leur éducation que cet espace leur appartient et qu'ils y font à peu près ce qu'ils veulent avec leur corps, alors qu'il serait totalement incongru aujourd'hui de voir une femme faire la même chose, en raison de la peur légitime d'être sexualisée et agressée.

    Plus globalement, il faut avouer que les pogos des concerts restent encore très souvent des concours de virilité entre une écrasante majorité d'hommes, tandis que les femmes restent le plus souvent sagement à l'écart – comme leur éducation genrée le veut aussi –, loin du tumulte, des premiers rangs, des artistes et de concerts qui n'ont d'égalitaires que le nom. Bref, trente ans après les Riot Grrrls, il faut encore le répéter haut et fort : Girls to the front!

    Crédit photo : Stefan Müller

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