Y'a-t-il un retour de hype sur le nu-metal ?

Des Deftones performe sur TikTok au succès de Turnstile en passant par les influences de Billie Eilish, à l’évidence le nu metal surfe actuellement sur la vague du cool.
  • Il suffit de lire Meet Me In The Bathroom (adapté depuis en documentaire !) pour comprendre que le nu metal a toujours été victime d’une certaine incompréhension. À parcourir l’ouvrage, pourtant excellent, une même impression saute aux yeux en découvrant la façon dont les Strokes ou les Yeah Yeah Yeahs sont montés en puissance au début des années 2000 : ces groupes, à en croire la journaliste musicale Lizzy Goodman, auraient tout simplement sauvé le rock, oubliant ainsi que « Hybrid Theory », le premier album de Linkin Park, sorti en 2000, a dépassé dans les charts américains les projets de Britney Spears, des Backstreet Boys ou de N'Sync. C'est pas rien.

    Aujourd’hui, le nu metal, dans version élargie, fait un retour en force : Evanescence est reparti en tournée, Deftones interprète ses classiques devant des stars de TikTok, le Las Vegas Sick New World a réuni mi-mai les anciennes gloire du genre (Korn, System Of A Down, Deftones), Fred Durst vient de tourner aux côtés de Phoebe Bridgers dans un film d'horreur du studio A24 (I Saw The TV Glow), et Linkin Park a récemment sorti une version augmentée de son deuxième album (« Meteora »), accompagnée d’un inédit (Lost) permettant à la formation de renouer avec le succès populaire après au moins une décennie de disette. Au point de considérer ce retour de hype comme une simple nostalgie ? Pas si sûr.

    « Nous avons remarqué que des fans plus jeunes s'intéressaient à notre musique, ce qui est dingue car cela fait plus de 30 ans que nous faisons cela », a récemment déclaré Chino Moreno à Vogue, presque étonné de la pertinence des Deftones en 2023. Il existe pourtant bel et bien des correspondances entre notre époque et le crépuscule du 20ème siècle, cette période où, selon le critique Steven Hyden, le nu metal « fait table rase de tout ce que le rock alternatif avait apporté à la musique au début des années 90 », dévorant le grunge pour mieux le régurgiter « aux côtés de ce qui se fait de plus nauséabond et de moins digeste dans le rap et le metal. »

    À l’époque, les tensions sont palpables en Amérique, et aboutissent à deux évènements dramatiques : la fusillade de Columbine en 1999 et les attentats du 11 septembre 2001. Aujourd’hui, une même anxiété se ferait sentir, une même angoisse commune, et qui pourrait expliquer en partie pourquoi une nouvelle génération de kids ayant grandi sans les B.O. de Tony Hawk Pro Skater se retrouvent dans le rock hargneux de ces figures tutélaires.

    Si le nu metal rencontre actuellement un tel écho, c’est sans doute aussi parce qu’une nouvelle génération de groupes aux idées larges lui offre une caisse de résonance : en plus d’être programmé à Coachella, Turnstile collabore avec Diplo et Blood Orange, Code Orange est nommé aux Grammy Award, 100 gecs prolonge à l'évidence un héritage tout en convoquant tout et son contraire au sein d’un même morceau (hyperpop, rap, noise, EDM, etc.), tandis que le duo Wargasm a assuré les premières parties de la dernière tournée de Limp Bizkit.

    D’ici la fin de l’année, c’est probablement Militarie Gun qui s’imposera comme la nouvelle figure de proue d’un mouvement en pleine ébullition, soumis à de multiples chambardements. En cause ? Une signature chez Concorde, des premières parties de Viagra Boys et de Shame, une programmation au Pitchfork Festival et un nouvel album (« Life Under The Gun ») rempli à ras bord de morceaux qui cognent fort, et laissent de belles traces.

    Parallèlement à cette effervescence, c’est également auprès des vedettes de l’entertainment américain que le nu metal trouve un terrain d’expression. Une preuve ? On en a même quatre : Billie Eilish qui s’est longtemps fringuée comme si elle était la leadeuse d’un groupe tournant des clips aux côtés de Jackass, tout en évoquant dans ses textes les mêmes troubles que Linkin Park ou Korn (la santé mentale, le harcèlement, la toxicomanie) ; Sam Smith qui utilisait un remix bien testostéroné de Human Nature de Madonna en ouverture de ses concerts ; Lil Uzi Vert, dont le côté sad boy fait inévitablement penser au mal-être de Chester Bennington et consorts ; Doja Cat qui, dans une récente interview à Variety, a déclaré vouloir « explorer le punk hardcore, rugueux, sans filtre ».

    Avec tout ça, difficile d’ignorer l’engouement et de cacher sous le tapis l’aura populaire qui plane autour de formations (Spiritbox, Loathe, Scowl, Scene Queen) prêtes à faire résonner leur vision du rock au-delà d’un simple cercle d’initiés. Quanrt au public, il semble leur donner raison : fin avril, Google annonçait ainsi que les recherches sur le nu-metal avaient atteint un niveau record.

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