Depuis Baltimore, Turnstile prouve que le punk hardcore n'est pas encore mort

Avec « GLOW ON », un quatrième album sorti l’année dernière, la formation de Baltimore s’est imposée comme un groupe majuscule. Programmés à Coachella, salués par une presse anglo-saxonne dithyrambique et portés par une ouverture d’esprit, au point de collaborer avec Diplo et Blood Orange, les Américains apportent un démenti fracassant à ceux qui pensent le hardcore est un genre uniquement colérique, et peu aventureux.
  • Le constat est irréfutable, mais mérite d’être rappelé une énième fois : le hardcore n'est pas mort avec les années 2000, cette époque marquée par les bouffonneries de Jackass, les clips de MTV et le son bien gras d'un punk-rock peut-être plus populaire que jamais. Pour résumer, c'est l'époque du grand boom de Sum 41, Third Eye Blind et Blink-182, dont les morceaux transpirent l'immaturité et les pensées perverses de kids agités.

    Depuis, le genre n’a cessé d’exister, et s’est même trouvé quelques fortes têtes (Have Heart, Fucked Up, Trapped Under Ice ou même Code Orange, nommé aux Grammy Awards) capables de cogner très fort et de faire résonner des morceaux traditionnellement tenus à l’écart des médias généralistes.

    En France, par exemple, on n’a que très peu entendu parler de « GLOW ON », le quatrième album de Turnstile, pourtant en bonne place au sein des différents tops 2021 des médias anglo-saxons : tandis que The Fader l'a hissé à la quatorzième position de son classement, Pitchfork en a carrément fait le sixième album de l'année.

    C'est qu'il y a beaucoup à dire au sujet de ce long-format, le deuxième en major (succédant ainsi à « Time & Space », sorti en 2018), mais surtout le premier à paraître aussi abouti, cohérent, foncièrement habité par l'idée de tordre le cou à ce lieu commun qui assimile systématiquement la musique bruitiste à des musiciens brutaux, dépourvus de savoir-faire mélodique, hostiles à la nuance.

    Formé au début des années 2010, le quintet de Baltimore en a visiblement fini avec les albums taillés pour la scène, obnubilé par les pogos. Après avoir étrenné ses instruments dans toutes les caves que comptent les États-Unis, la bande de Brendan Yates a désormais envie d'assumer son éclectisme. Par le passé, cela se vérifiait à l'écoute de « Nonstop Feeling », un deuxième album étonnement produit par Diplo, et de l'EP « Share A View », enregistré aux côtés du producteur électro Mall Grab.

    À présent, c'est Dev Hynes (Blood Orange) que les Américains convient, comme animés par l'envie de prolonger la démarche progressiste du punk hardcore. « La chose qui m’a attiré en premier dans le hardcore et le punk, affirmait Brendan Yates dans une interview au Guardian, la chose que je pense être fondamentale, c’est que c’est un endroit pour les gens ouverts d’esprit et qui veulent défier les normes. »

    Tous ceux qui ont tendu l'oreille un jour aux Bad Brains, à Fugazi, à Quicksand ou même à Rage Against The Machine ne tomberont bien évidemment pas de leur chaise à l'écoute de « GLOW ON », qui partage avec les albums de ses illustres aînés le même gout du tapage et des riffs nerveux. Face à une telle débauche d'énergie, il est néanmoins conseillé de se lever de cette fameuse chaise, de la balancer à travers la pièce et de sauter à pieds joints sur la tête de votre patron.

    De MYSTERY à LONELY DIZERES, ce quatrième album s’entend en effet comme la possibilité d’un plaisir qui échappe au règlement intérieur, à un contrat de mariage ou à toute forme de lois plus ou moins restrictives. C'est un cri, primal, abrasif, mais toujours contrebalancé par quelques idées malignes : ici des sons spatialisés, là des incursions dans l'électronique, ailleurs des harmonies R&B, notamment sur le magnifique et aérien ALIEN LOVE CALL, en duo avec Dev Hynes, qui prouve à lui seul que le quintet n’est pas de ces groupes incapables d’héberger le moindre sentiment.

    Référencé sans jamais être réac ni poussiéreux, Turnstile s'impose bel et bien comme un groupe ancré dans son époque, dans ce WILD WRLD sur lequel Brendan Yates et ses potes dégueulent dans des morceaux aussi euphoriques que désabusés. Comme ultime preuve, on tient le clip d'UNDERWATER BOI, tout juste paru, réalisé par le batteur de la bande (Daniel Fang) et tourné au sein de Second Life. Une façon, peut-être, d'affirmer que Turnstile aspire à la même popularité que ce jeu vidéo. Seule certitude : avec leurs mélodies explosives et leurs guitares prêtent à défoncer les murs, les Américains ont tous les arguments pour s'installer durablement dans les foyers du monde entier.

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