2022 M09 23
Il faudrait presque un livre pour disséquer les multiples projets montés, voire les nombreux styles dynamités par ce batteur de Chicago, à l'influence considérable sur les musiques libres, débridées les nouveaux explorateurs de son de la scène jazz - un certain nombre étant hébergés sur la même structure que lui, l'excellent label International Anthem.
Ici, une relecture du travail de Gil Scott-Heron (« We’re New Again: A Reimagining by Makaya McCraven »), là une collaboration avec Kamasi Washington ou Jeff Parker, ailleurs un travail de réinterprétation du catalogue de Blue Note (« Deciphering the Message »), un groupe de hip-hop (Cold Duck Complex), une Boiler Room ou différentes expériences en tant que musicien de studio.
Contrairement aux apparences, Makaya McCraven n'est pourtant pas un musicien qui privilégie l'urgence. Son dernier album, « In These Times », a mis sept ans à voir le jour : autant d'années passées à se triturer l'esprit, à trouver la bonne formule, à multiplier, tel un scientifique isolé dans son laboratoire, les recherches sur la mélodie, à étudier la musique populaire et à accepter l'isolement d'un confinement venu freiner les dernières étapes de l'enregistrement. « J'étais habitué à jouer partout : des festivals réputés, des fêtes d'anniversaire, des mariages ou même des clubs de jazz, précise-t-il. Là, il a fallu apprendre à gérer mes pulsions créatives autrement. »
Le plus impressionnant, à écouter Makaya McCraven parler, est peut-être son charisme. Lorsqu’il détaille son parcours, on sent une présence, une force, une puissance, une intégrité intransigeante. Peut-être est-ce celle d'un artiste qui donne l'impression de tout connaître de la composition musicale : batteur, l'Américain est également chef d'orchestre, producteur, apprenti guitariste et scientifique du beat.
Peut-être est-ce aussi parce que le musicien, 38 ans, a toujours baigné au sein d'un univers artistique. Né à Paris d'une mère flûtiste et chanteuse folklorique hongroise, et d'un père batteur de jazz, Makaya McCraven a la chance de côtoyer très jeune des pontes de la note bleue : Archie Shepp, Yusef Lateef ou encore le saxophoniste Marion Brown, ex-collaborateur de John Coltrane. « Je me souviens encore des bonbons au caramel que Marion me donnait sans arrêt quand j'étais plus jeune. »
La musique de Makaya McCraven défend la même douceur, la même fibre nostalgique que ces friandises capables de vous replonger illico dans un autre temps sans pour autant vous y enfermer. The Fours, Seventh String ou Lullaby, pensée en collaboration avec sa mère : toutes ces compositions s'entendent comme des éloges faites à l'harmonie, des moments hors du temps, privilégiant la délicatesse à la démonstration technique.
Fort de ses diverses expériences, le batteur a su cristalliser ses multiples obsessions sur « In These Times » : des beats hip-hop, une harpe chargée d'amener de la vulnérabilité, des breakbeats pour accentuer le groove sur l'intro de Dream Another, des clins d'œil au classique et aux polyrythmies du Ghana, de la musique folklorique hongroise, ainsi qu'une véritable réflexion sur la notion de rythme. « J'ai surtout pensé tous ces rythmes et ces grooves dans une optique de musique accessible. Il était important pour moi que ce ne soit pas un exercice purement intellectuel. Je veux que ma musique puisse être comprise par tous. »
Mission réussie : sur « In These Times », Makaya McCraven fait du jazz une musique incroyablement moderne, organique et harmonieuse, aussi séduisante lorsqu’elle fait mouiller les yeux que lorsqu’elle incite aux mouvements de hanches.