2017 M08 11
Plus qu’une simple plateforme de DJ sets filmés en comité réduit, Boiler Room est aujourd’hui devenu une institution. En chiffres, ça se traduit ainsi : une chaîne YouTube qui dépasse les 390 millions de vues et qui compte presque 1 200 000 abonnés, des soirées organisées chaque semaine dans le monde entier et des organisateurs qui se targuent de glaner chaque mois plus de 2 500 000 spectateurs. Autant dire que sept ans après son lancement, après avoir été inspiré par des DJ comme BokBok et Oneman qui filmaient leurs mixes via Ustream, Boiler Room a aujourd’hui toutes les raisons de se proclamer « principale communauté de fans de musique underground dans le monde ».
La rave d’un homme. L’histoire de Boiler Room, c’est avant tout celle de Blaise Bellville. Un mec qui, à l’entendre dans une interview accordée à The Independant, a toujours « rêvé de devenir célèbre ». En 2010, l’Anglais est alors rédacteur en chef de Platform, un magazine indépendant fait par les adolescents et pour les adolescents. Mais le jeune homme de 18 ans a d’autres ambitions : il veut organiser des soirées et pense avoir trouvé l’idée parfaite lorsqu’il tombe sur une chaufferie dans un entrepôt délabré. La suite, c’est lui qui la raconte à The Fader : « Quand nous avons déménagé dans cet entrepôt, il y avait cette incroyable vieille salle de chaufferie où personne ne semblait s’être aventuré depuis les années 1930, même le proprio ne la connaissait pas. C’est le genre d’endroit où t’as tout de suite envie d’y organiser une soirée. Je me suis dit que ce serait l’endroit idéal pour y réaliser un show Ustream. Mais, finalement, c’était plein d’amiante ! On a fini dans une autre salle vide à l’étage, mais le nom est resté. »
Certifié conforme. Le nom, justement, est aujourd’hui devenu un gage de qualité. Boiler Room n’est pas seulement la garantie de pouvoir assister à des DJ sets pointus sans mettre un pied en club, c’est aussi et surtout l’assurance de voir jouer des artistes qui ne viendront jamais squatter le dancefloor au coin de chez vous : Jamie xx, SBTRKT, Mount Kimbie, James Blake, tous ont été invités à mixer depuis un salon, un club, une arrière-salle de magasin de disques ou un studio à une époque où leurs noms n’excitaient pas encore tout le monde.
Fier et fort de cette réputation, Boiler Room a donc rapidement cherché à grandir et, ça va souvent de pair, à s’ouvrir : à d’autres villes (le premier essai parisien, dans une chambre de l’hôtel W, date de l’hiver 2012), d’autres genres musicaux (le hip-hop, le jazz, la world et, dernièrement, le néo-classique en collaboration avec Jonny Greenwood de Radiohead), mais aussi à différents types de collaborations, moins undergrounds pour le coup. Comme ces soirées « Ballantine’s Boiler Room » et « Ray Ban X Boiler Room » apparues ces trois dernières années.
En mode conquérant. Alors, forcément, les premières critiques ont également fait leur apparition. Après tout, comment une culture basée sur la danse et le plaisir du corps peut-elle être réduite à regarder un DJ sur un écran ? Comment rester underground en ne réservant ses soirées qu’à l’élite de la fête ? Reste que rien ne semble pouvoir endiguer la mainmise de Boiler Room et de son fondateur, systématiquement classé parmi les 50 personnes de moins de 30 ans les plus influentes depuis 2011. Même les artistes semblent en être devenus dépendants, à l’image de Skepta qui, pour le lancement de « Konnichiwa » en mai 2016, a organisé une immense release party en direct sur Boiler Room, tandis que, quelques mois plus tôt, le label 50Weapons, lancé par le duo Modeselektor en 2005, venait livrer son chant du cygne avec une Boiler Room de douze heures.
Un peu comme si, à l’inverse du Berghain qui s’est toujours opposé à cette culture de la célébrité, Blaise Bellville et ses associés assumaient le côté mégalo de ces soirées et n’avaient finalement d’autres objectifs que de permettre à un artiste de tester sa popularité le temps d’un DJ set, possiblement suivi jusque dans les coins les plus reculés de Russie ou de Chine.