2018 M03 9
Dans l’imaginaire collectif, les raves parties ne sont qu’un rassemblement de junkies arborant fièrement leurs t-shirts délavés et dansant comme des tontons bourrés, au milieu de la poussière et des néons. En bref : des événements illégaux dans lesquels on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe, à moins d’y avoir déjà participé ou d’avoir connu les teufs de Spiral Tribe, un peu partout en Europe dans les années 90. Mais en vrai, les raves se sont toujours posées comme un refus de se plier aux exigences capitalistes de l’industrie culturelle mercantile, avec la possibilité d’assister à une soirée sans avoir à allonger la moitié de son salaire pour se payer une conso. Une question d’argent et de liberté, qui vient attiser un conflit permanent avec les autorités.
Une épidémie dansante. Dans son livre Entrez dans la danse, Jean Teulé raconte l’histoire de la première rave party. Un événement que Shakespeare avait nommé la « peste dansante », et pour en trouver la trace, il faut remonter à 1518. Le 12 juillet, dans les rues de Strasbourg, 2000 personnes se lancent sans raison dans une chorégraphie contagieuse. Incontrôlables, ils dansent pendant des semaines. Les effets de l’ergot de seigle (proches du LSD) permettent d’annihiler l’engourdissement des membres. Pour tenter d’atténuer les douleurs et estomper la fièvre, le maire de la ville fait même construire un plancher en guise de dancefloor. Pieds en sang et cartilages apparents, les danseurs plongent petit à petit dans un état de transe, avant de s’effondrer chacun à leur tour, inanimés. La plus grande rave party, la plus dingue, mais surtout la plus meurtrière. Avec du recul, on sait maintenant qu’il s’agissait d’une danse du désespoir. L’une des participantes aurait même déclaré : « On n’a plus rien à perdre ? Allez, on danse ! C’est notre corps, il nous appartient, on n’a plus que ça. » On est encore loin du flashmob mortifère, mais apparemment le cycle semble à nouveau vouloir se répéter au Royaume-Uni.
Fête de trop. À l’époque de Margaret Thatcher, le phénomène des free parties s’était déjà bien amplifié dans le Royaume-Uni. Les nombreuses contraintes imposées par le gouvernement aux clubs : fermeture à 2h du matin, niveau de décibels, capacité des lieux… tout cela avait poussé les clubbers à réinvestir les lieux désaffectés des nombreuses zones post-industrielles. Aujourd’hui ce sont les mêmes problèmes qui sont mis en avant. La forte augmentation des raves, que révèle The Sunday Telegraph, peut donc s’expliquer assez facilement. L’un des arguments exposés, c’est l’augmentation considérable des coûts des sites autorisés (c’est-à-dire légaux) surtout dans la capitale. Les boîtes de nuit londoniennes n’ont donc plus que deux éventualités : fermer ou augmenter leurs tarifs.
Si l’on rajoute à cela les importantes taxes foncières et les nuisances sonores, pour certains clubs comme la Fabric, le choix s’est imposé de lui-même. En huit ans, la ville a perdu près de la moitié de ses boîtes de nuits et pour les quelques lieux restants le prix moyen d’une simple pinte de bière atteint des sommets. D’après Kate Nichols, la directrice de UK Hospitality, il est logique que les consommateurs commencent à se tourner, comme dans le passé, vers des solutions alternatives.
La police dit non. Les ravers commencent donc à investir une multitude de lieux désaffectés : des usines, des écoles primaires, des égouts, des supermarchés… La liste est longue tant qu’elle permet d’accueillir suffisamment de monde. Elle ne s’arrête pas non plus aux seules frontières londoniennes, puisque même le Pays de Galles est touché. Malheureusement certaines free parties ne sont pas sans conséquences, comme le 6 août dernier, dans le Kent, où un rassemblement aurait causé 30 000£ de dégâts. C’est pourquoi la police se dit de plus en plus concernée et a commencé à prendre des mesures de collecte de renseignements. L’objectif est de démanteler le réseau et trouver qui se cache derrière son organisation, un travail qui se fait en accord avec la Metropolitan Police et la British Transport Police.
Pour l’instant les mesures sont encore loin de celles prises en 1989, qui bannissaient la musique électro des radios anglaises et interdisaient les rassemblements de plus de dix personnes « sur une musique jugée trop répétitive ». Malgré tout, la culture rave demeure aussi une question de respect, comme c’était le cas au Nouvel An où des participants étaient revenus nettoyer les lieux le lendemain de leur soirée. Faire la fête dans l’illégalité, ok, mais passer pour un crado, pas question.