Le "Play" de Moby : histoire d'un disque qui a tout cassé

  • Dès sa sortie le 17 mai 1999, « Play » réussit à faire d’une pierre deux coups : mettre fin à un millénaire en bouclant la boucle trip-hop-touche-pipi et faire exploser Moby. Voici donc le making-of d’un disque auquel même son label ne croyait pas au départ.

    Durant la seconde moitié des nineties, Moby patine dans la semoule d’un long dérapage qui dure presque trois ans. Le succès de ses premiers techno tracks de teufs est retombé, les raves sont passées à la kétamine et la descente est lugubre. Au lieu de se mettre au goût électronique du jour et de refaire danser un public qu’il a rencontré au fil de tournées mondiales, le Mobe fait un caca nerveux punk-rock avec des boîtes à rythmes : le fiasco de l’album « Animal Rights » lui vaudra d’être remercié par son label américain Elektra.

    Après huit ans d’abstinence, il se remet à se pinter comme un légionnaire. Sa mère décède. Une panne de réveil le met en retard à l’enterrement. C’est donc un petit végane, chétif, viré et orphelin, en proie aux crises de paniques, le parangon du babtou fragile en somme, qui va composer la pierre angulaire du trip-hop mainstream d’un nouveau monde.

    Fin des années 1990, Why Does My Heart Feel So Bad traine dans un tiroir et Moby le sort, plein de poussière, se demandant ce qu’il va faire d’un truc aussi bizarre. Comme par hasard, la scène – il la raconte dans son livre – se déroule un dimanche pluvieux. Retenant la leçon, Moby a utilisé pour ce morceau des samples libres de droit, des vieux gospels et des negro spirituals qui ne sont plus sous licence. Magnifiques et gratuits, ces chants n’ont rien à voir avec son passif techno ou punk. C’est pour mettre ces sons en valeur que Moby passe sous la barre des 130 bpm. Il y fera carrière.

    En réalité, tout l’album « Play » est parsemé de ces samples grandioses. Honey doit tout à la voix de Bessie Jones et de son Sometimes. Grâce au Natural Blues, la terre entière entend le timbre supra-naturel de Vera Hall. Les vocaux de Find My Baby sont tout entiers dans le Joe Lee’s Rock de Roland Hayes ; ce blog répertorie quelques autres blues empruntés par Moby.

    On entend le souffle natural sur les gospels, il est énorme, mais Moby a transformé le grain d’origine en une sorte de courant d’air numérique fait de pixels et de toutes les particules que l’air pouvait contenir dans les années 1990. La basse est remplacée par des sons de basse au synthé. Des vieux échantillons sont renversés et joués à l’envers. Porcelain réinvente la musique d’aéroport. Le ciel devient le plus bel endroit sur Terre.

    L’héritage de la musique américaine a fourni les séquences (à l’époque, on sample encore au séquenceur) et le travail de studio a écrit une partition post-punk (South Side), big beat (Bodyrock) et techno. Sur certains mix, on peut retrouver le travail de Mario Caldato Jr., ingénieur pour les Beastie Boys entre autres. L’album « Play » réussit, après les Chemical Brothers et Fatboy Slim, à faire la jonction grand public entre passé et présent.

    Quelques mois plus tard, le haut débit, les graphistes-DJ et les applications d’Auto-Tune finiront de péter toutes les cloisons. Les mashups n’étonneront plus personne. Bienvenue dans le troisième millénaire.

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