2022 M06 25
Parfois, il ne faut pas écouter ses parents. Si Donda, la mère de Kanye West, était persuadée que son garçon serait cette star de la chanson qu’il est aujourd’hui, le père de Yaya Bey, lui, n’en menait pas aussi large. Pour cet ancien rappeur associé à « l’âge d’or du hip-hop », sa fille n’était simplement pas faite ça : « Mais pourquoi tu te lances là-dedans ? Tu ne sais pas chanter, ça ne marchera pas pour toi » lui disait-il à ses débuts. Malgré cela, la jeune femme a persévéré et est finalement devenue celle qu’elle voulait être.
Pour Yaya Bey, tout a commencé par un abandon. Alors qu’elle n’a que trois mois, sa mère disparaît — elle réapparaîtra de façon aléatoire au gré de sa vie. Fille unique, c’est avec son paternel, l’artiste Grand Daddy I.U. et ses cousins qu’elle grandit. Très tôt, elle suit des cours de danse. Mais sa véritable passion s’éveille à l'âge de 9 ans lorsqu’elle découvre l’écriture. Depuis cet âge, elle n’a jamais cessé de créer des chansons. Une qualité de composition que son père reconnaît chez elle, comme la chanteuse l’explique dans cet article de Rolling Stone.
Il faut attendre le début de la décennie 2010 et son départ à Washington D.C. pour voir Yaya Bey se consacrer pleinement à la musique, ainsi qu’à la peinture, son autre dada. Repérée par le producteur Chucky Thompson (qui a notamment réalisé des classiques de The Notorious B.I.G., Mary J. Blige, et Faith Evans), elle officie d’abord dans l’ombre en écrivant pour un autre artiste. Toujours dans l’article de Rolling Stone, elle explique que « cette expérience n’a pas du tout fonctionné », mais qu'elle était convaincue qu’elle avait « ce qu’il fallait pour faire sa propre musique ». La chanteuse saute donc le pas et fonde un premier groupe, The Meek, puis un autre à la fin de 2013, Gully Waters.
En parallèle de sa carrière, Bey connaît une vie sentimentale agitée. D’abord en couple avec un poète qui « détestait tout ce [qu’elle] pouvai[t] faire pour s’émanciper», elle le quitte pour un autre. Artiste aussi, c’est avec ce deuxième homme qu’elle se marie finalement et qu’elle compose son premier album solo « The Many Alter-Egos of Trill’eta Brown » (2016). Un disque que l’on peut directement ranger dans la continuité des travaux de l’activiste Audre Lorde, qui mêle habilement à ses histoires personnelles des questions existentielles sur les relations, le genre et la condition des femmes noires.
Fort bien accueilli par la critique, ce long format lance définitivement sa carrière solo. Mais côté cœur, ça dérape à nouveau. Difficile de concilier amour et travail, pourtant, Yaya Bey n’a pas d’autre choix pour son album suivant. « This Too… » (2019) voit le jour pendant que la chanteuse est au beau milieu de son divorce. « C’était une p*tain de torture » avouera-t-elle dans un récent article. Mais une fois séparée de cet homme, c’est sa tête qui lâche. Alors qu’elle enregistre son disque de 2020, « Madison Tapes », la chanteuse sombre dans la dépression. Chez Pitchfork, elle se confie :
« Je ne me sentais vraiment pas bien. La confiance que j’avais en moi est passée par différents états. Dysmorphophobie [préoccupation pour un ou plusieurs défauts de l’apparence physique inexistants ou légers ; ndlr]. Honte. J’ai ressenti beaucoup d’émotions désagréables. Après un long moment, toutes ces pensées négatives ont fini par s’en aller. »
De retour dans son New York natal, bien décidée à rompre avec le mal qui la ronge, elle se concentre sur sa musique. Inspirée par ses peines de cœur, la chanteuse du Queens fait peau neuve avec un nouvel EP intime, « The Things I Can't Take With Me » (2021), piloté pour la première fois par le label Big Dada. L’objectif de ces 6 morceaux autoproduits est clair, comme elle l’explique encore à Pitchfork : « Je devais surmonter ces trois années de transition pour commencer une nouvelle vie. »
Le nouveau chapitre qu’elle entame est une encore une fois cerné de musique. Son nom, « Remember Your North Star » (2022). Pensé comme une synthèse de ses influences, virevoltant entre un R&B léché, des élans hip-hop rappés, sonorités reggae et jazz, cet album a été composé par son auteur comme une « thèse ». Un ensemble de textes qui ont pour but de répondre aux maux que subissent les femmes, et particulièrement les femmes noires.
Les chansons forment un paradigme qui traite des concepts de misogynoir, d’empouvoirement, d’amour de soi, du déballage des traumatismes générationnels, de romance insouciante ou encore des relations parentales. Elles capturent autant une tranche de vie de sa créatrice, qu’elle-même utilise celle des autres pour les rendre meilleures. À la fois inspirée et inspirante; la marque des grands.